François Cheng et Le Dit de Tianyi

A partir de la naissance, chaque visage est façonné par toute une vie de désirs refoulés, de tourments cachés, de mensonges entretenus, de cris contenus, de sanglots ravalés, de chagrins niés, d’orgueil blessé, de serments reniés, de vengeances caressées, de colères rentrées, de hontes bues, de fous rires réprimés, de monologues interrompus, de confidences trahies, de plaisirs trop vite survenus, d’extases trop vite évanouies. Chaque ride en porte la marque aussi sûrement que les anneaux d’un arbre. C’est tout cela que le visage révèle de la personne, à son insu, malgré l’effort surhumain qu’elle déploie quotidiennement pour le cacher.

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Le jour de mon départ, le maître m’accompagna jusqu’à la croisée des chemins. Il s’arrêta et dit :  » Ce que je pouvais te donner de mieux, je te l’ai donné. A partir de maintenant, suis la Voie, la tienne, et oublie-moi. Ne prends pas la peine de m’écrire. De tout façon, je ne répondrai pas. Je m’en irai d’ailleurs bientôt. » Ces paroles, dures à entendre, furent dites non sur un ton sévère, mais avec une douceur paisible dont tout son visage était illuminé, un visage comme transfiguré. Puis le vieillard se retourna et s’en alla en direction de son ermitage. Sa robe flottait au vent, et son pas était léger.

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Un jour, pour exprimer la terre qui m’a nourri, je serai peintre ; inévitablement je rencontrerai la peinture occidentale. Je saurai entrer dans l’intimité d’un Gauguin et d’un Monet, d’un Rembrandt et d’un Vermeer, d’un Giorgione et d’un Tintoret, tous ces grands maîtres qui ont exalté la forme pat la couleur.

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En somme, il n’y a pas d’espace ni de temps, seulement un être vivant qui se meut, et l’espace-temps naît avec lui.

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Avant son départ, il inscrivit sur mon petit carnet de souvenirs un ver en anglais tiré d’un poème de Longfellow : « La vie est brève : l’art seul est durable ».

François Cheng dans Le Dit de Tianyi

Une pièce musicale d’Enno Aare – Water Ripples

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