Tout le chemin, le simple chemin, est peut-être seulement de s’apercevoir de ce qui est déjà là — et d’apprendre à avoir confiance.
Mais cette écorce obstinée, cette vieille matière illusoire partout sous nos pieds, continue d’être, au moins pour les autres. Le critère de l’objectivité, ce que nous appelons le monde comme il est, est sa perception généralisée. Faut-il concevoir qu’une poignée d’êtres plus avancés, de pionniers du nouveau monde, vivront de cette vraie manière, dans ce vrai corps (invisible pour les autres) tandis que les autres continueront de vivre et de voir dans la vieille ombre et de trébucher avec elle, de mourir et de souffrir avec elle, jusqu’à ce qu’ils soient, eux aussi, capables de l’ultime transfert et d’entrer dans le nouveau monde qui deviendra l’objectivité générale, et pourtant sur cette terre et dans cette matière, mais vue avec le vrai regard. La vieille écorce tomberait quand tout le monde pourrait voir du même regard — quand tout le monde, précipité dans une « saison » plus avancée, verrait l’arbre en fleurs au lieu de la vieille cosse? … L’arbre est en fleurs parce que la saison est venue ; peut-être faut-il attendre que les hommes se rendent compte que la saison est venue et que toutes les fleurs sont là, sur le bel arbre — mais elles sont déjà là, en vérité, sauf pour ceux qui s’attardent à l’hiver quand le printemps tressaille partout. En fait, la conscience supramentale, le rythme supramental est un rythme extraordinairement rapide — la terre actuelle paraît statique et stagnante à côté de ce rythme-là — et peut-être est-ce cette simple « accélération » qui fait toute la différence, qui révèle la douceur orange du rayonnement supramental, sa profondeur chaude et vivante, sa terre légère, comme l’accélération des galaxies allume de rouge ou de violet les étoiles selon leur sens. Et comment cette vision nouvelle, aussi concrète que celle de tous les Himalaya réunis, plus concrète même parce qu’elle révèle toutes les profondeurs intimes de l’Himalaya et sa paix vivante, son éternité solide, ne changerait-elle pas radicalement toute la vie de l’humanité, du moins pour ceux qui peuvent voir, et peu à peu pour tout le monde, aussi radicalement que la perception de l’homme a changé le monde tel qu’il était perçu par la chenille? … Car, finalement, cette vision nouvelle n’abolit pas le monde, elle le fait voir tel qu’il est (et encore, ce « tel qu’il est » supramental est-il susceptible de grandir aussi avec d’autres âges — où est la fin?). Il n’est pas vrai que la matière devienne « autre » subitement, par quelque coup miraculeux et transmutateur — elle devient (pour nos yeux) ce qu’elle était toujours : elle cesse d’être ce tortueux raidillon de chenille pour étendre ses prairies ensoleillées, qui s’étendent de plus en plus avec notre regard. La vraie matière, la matière supramentale, attendait depuis toujours notre vrai regard — seul le semblable reconnaît le semblable. La saison divine nous attend sur la terre, si nous consentons à reconnaître ce Semblable dont nous sommes seulement une semblance.
Satprem dans La Saison de la Vérité
Une pièce musicale de Jean-Michel Blais – Ad claritatem Domine