Survivre aux illusions

Nous divisons la réalité en deux : ce que nous aimons et ce que nous n’aimons pas, ce qui nous rassure et ce qui nous fait peur; mais la réalité est unique, et elle comprend inévitablement les deux aspects. Du point de vue du réel, le tragique et l’heureux sont les deux faces d’une même pièce. D’ailleurs, comme le bien et le mal, le tragique et l’heureux sont des catégories de l’esprit qui ne sont pas adéquates pour parler du réel qui, lui, alterne création, séparation, destruction. II se contente d’explorer les possibles. Nul n’échappe au déchirement de la séparation. Tout change tout le temps. Rien n’existe sans son contraire. Nous nous heurtons en permanence à la différence. Et comme nous ne pouvons pas sortir du réel, sont donc également vraies et intemporelles les quatre propositions suivantes :

– Le réel est. Il existe. (Tout commentaire est superflu, et le silence s’impose, silence qui n’exclut pas l’émerveillement.)

– Le réel est créateur et heureux. (La vie offre une infinité d’occasions de joie.)

– Le réel est destructeur et tragique. (La vie est une vallée de larmes.)

– Le réel est créateur et destructeur, heureux et tragique, parfait tel qu’il est. (La vie est belle telle qu’elle est, au-delà ou au cœur de la joie et de la souffrance.)

*

Je ne dis pas que le réel est en partie tragique et en partie heureux, et que nous arrivons à une moyenne neutre. Je dis que tout est, en permanence, à la fois parfaitement heureux et complètement tragique, selon l’endroit où se porte notre regard. La vie illustre parfaitement le double aspect indissolublement tragique et heureux de la réalité, car la mort est inscrite dans la naissance…

Emmanuel Desjardins dans Prendre soin du monde : Survivre à l’effondrement des illusions

Une pièce musicale de Jóhann Jóhannsson, By the Roes, and by the Hinds of the Field – Movement Interpretation

Laisser un commentaire