Science et mythe

« Et la Vérité dans tout cela ? » dira-t-on. Les succès écrasants, mais aussi exaltants des techniques issues des sciences de la nature ont fait qu’à notre époque il y a le scientifique et le reste. Nous avons cru qu’il n’y a de vrai que scientifique. Seule la science s’occuperait sans s’illusionner de rechercher la Vérité sur la nature et sur nous-mêmes. Le reste (notre subjectivité dans nos passions, l’art et le mythe, sans parler de la religion) ne saurait être au mieux qu’ornemental s’il n’est pas mystification. Dans la suite des illusions du siècle des Lumières, il nous a fallu les désillusions du XXe siècle pour comprendre que la Vérité scientifique est, elle aussi, un ornement du réel. Elle nous éclaire certes, mais nous la fabriquons pour cela comme une enluminure ou un beau lampadaire. Celui de la blague, au-dessous duquel on cherche dans la nuit ce qu’on a perdu probablement ailleurs, parce que c’est le seul lieu où il y ait de la lumière. Le réel n’est pas vrai. Il se contente d’être. Et nous construisons une vérité autour de lui, puis une autre, comme un ornement ; non pas de façon arbitraire bien sûr, mais en vue de certains objectifs. Pour atteindre une maîtrise objectivable de la nature, les contraintes sont celles de la méthode expérimentale et des fonctions logiques de vérité. Le succès dans l’atteinte des objectifs nous permet de continuer ; l’échec nous conduit à changer d’objectif et construire, si nous pouvons, un autre lampadaire. D’autres buts tels que comprendre, expliquer, convaincre, aimer et se faire aimer, unifier notre vie intérieure et nos expériences objectives ou intersubjectives, faire régner la justice avec amour entre des personnes responsables, imposent des contraintes différentes à notre construction de la vérité.

Une certaine pudeur dans les dévoilements de la vérité nous la fait revêtir de voiles multiples mais appropriés. Il semblerait que la Vérité toute nue ne puisse se « contempler » (?) que sans paroles et dans l’obscurité.

Henri Atlan dans À tort et à raison – Intercritique de la science et du mythe

Une pièce musicale de Jean-Luc Ponty – Cosmic Messenger

Laisser un commentaire