3e hémisphère du cerveau

Les technologies informatiques agissent aujourd’hui non seulement comme des sens nouveaux, nous permettant de voir et de toucher des dimensions extraordinaires du microcosme et du macrocosme, dimensions auxquelles notre physiologie ne peut avoir accès, mais aussi comme filtres, interprètes et modules analytiques de ces dimensions. Les ordinateurs sont des yeux, des voix, des neurones, ils regardent le réel différemment, plus largement et plus finement que nous le faisons, et ils y appliquent une syntaxe non organique et non humaine. Les machines de l’information déposent sur le réel une pellicule qui leur est propre et que nous ne pouvons plus retirer. L’intelligence machine filtrera bientôt toute représentation, compréhension et modélisation du monde.

Les enfants qui naissent aujourd’hui ne saisiront plus les strates de la réalité sans les sens accrus que leur offriront les technologies. Plus fondamentalement, ces enfants ne pourront plus aimer l’être cher, le saisir, le caresser, sans le filtre cognitif des machines intelligentes (déjà, la technologie s’empare de nos automatismes de fuite ou d’attaque et les remplace par ses stimuli). Ce phénomène est si important, si total, son impact est à ce point sérieux qu’il ne serait pas absurde de suggérer que l’ordinateur du 21e siècle joue le rôle d’un troisième hémisphère du cerveau humain. Toute lecture, toute analyse du réel, toute expression de la sensibilité, de la beauté et de l’empathie seraient maintenant sculptées par trois hémisphères.

Il y a quelque 50 000 ans, l’humain se mit soudain à créer des signes et à peindre des formes surprenantes sur les parois suintantes de cavernes étranges. L’éclosion singulière et inattendue de ce que plusieurs nomment le Big Bang culturel n’a pas encore été expliquée par les archéologues et anthropologues qui étudient l’art pariétal. Pourquoi l’humain s’ouvrit-il à l’univers du symbole, se vit-il séduit par l’image, le geste artistique, l’esquisse ? Pourquoi sentit-il la nécessité de dessiner un animal, une chasse, un mouvement ? Nous ne savons pas. Mais une hypothèse fait son chemin selon laquelle une subite transformation génétique serait la cause de ce bouleversement. Pour une raison encore inconnue, le cerveau humain changea, l’homme et la femme ressentirent le besoin du symbole et l’envie de la représentation, ils découvrirent la soif de l’émotion artistique et de la poésie visuelle. Brusquement, le monde humain se métamorphosa.

Nous sommes à un point de jonction identique. Le troisième hémisphère opère une révolution cognitive si importante que nous voici maintenant tels ces êtres qui, subitement, se mirent à dessiner sur les parois de Lascaux, de Chauvet et d’Altamira, face à un monde qui émerge de façon profondément mutée.

Le troisième hémisphère ouvre la porte à d’extraordinaires et effrayantes nouvelles représentations du réel. Il burine une forme d’humain singulière faite de parasites, de bactéries et de virus, un humain dont la fonction première est de servir le microbiome (l’ensemble de nos microbes), un humain qui n’a de conscience qu’a posteriori, qui n’aime et ne crée que pour servir les microcosmes qui l’habitent. Il nous montre que tout ce que nous faisons sert le microbiome, que le microbiome peut s’exprimer par l’amour et le désir humains ; par l’empathie, par la beauté et par l’art.

Ollivier Dyens dans Virus, parasites et ordinateurs: Le troisième hémisphère du cerveau

Une pièce musicale de Hania Rani – Komeda Part 3

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