
Mettons-nous à croire dans ce que nous voulons. À quoi bon croire ? Inutile. Ce que l’on veut suffit. Croire en ce que l’on veut consistant à pouvoir changer de croyance comme on veut, croire en ce que l’on veut revient à se dispenser de croire. Même chose pour le sens. Quand une croyance et un sens sont une croyance et un sens, ils contraignent. Quand ils ne contraignent pas, ils ne sont ni une croyance ni un sens. Ils sont n’importe quoi.
En ce sens, paradoxe, que l’on parle de la nécessité ou de la liberté de croire, que l’on dise qu’il faut croire et donner du sens ou que l’on dise que l’on doit pouvoir croire en ce que l’on veut et avoir le sens que l’on veut, cela revient au même. Dans les deux cas, on a affaire au vide, voire à n’importe quoi, croire pour croire et croire en ce que l’on veut revenant au même. Ce vide s’explique. Dans les deux cas, la croyance est envisagée comme une solution et non comme une expérience vécue.
Quand il est dit que dans la vie il faut croire et avoir un sens, pourquoi est-ce dit ? Pour se défendre. De quoi ? De la peur de mal faire la croyance et le sens. On est dans une logique de père autoritaire. Celui qui pense qu’il faut croire et qu’il y ait du sens a dans son inconscient la trace d’une autorité punitive à laquelle il convient d’obéir pour ne pas subir de représailles. Ainsi celui qui croit de la sorte croit-il pour croire, parce que croire est bien et ne pas croire est mal. Donner du sens est bien, ne pas en donner est mal. Une telle croyance n’est pas dans la croyance ni dans le sens. Elle est dans la peur de ne pas croire et de ne pas donner du sens. Le sens et la croyance sont des solutions parce qu’ils permettent d’éviter une punition.
Curieusement, quand il est question de liberté de la croyance et du sens, l’attitude demeure la même. Quand quelqu’un réclame de pouvoir croire en ce qu’il veut et donner le sens qu’il veut, pourquoi le fait-il ? Par peur d’une autorité punitive disant qu’il faut croire et donner du sens. On est dans une logique de fils rebelle et, derrière elle, de père autoritaire. Pour échapper à une autorité, on peut prendre le parti de lui obéir. On peut aussi prendre le parti de lui désobéir. Paradoxe de l’obéissance : celle-ci donne l’impression d’obéir. En fait, elle n’obéit pas, elle fuit. Paradoxe de la désobéissance : celle-ci donne l’impression de s’être libérée de l’autorité. En fait, elle ne pense qu’à elle.
Bertrand Vergely (1953-) est un philosophe, théologien et essayiste français. Bertrand Vergely s’attaque, dans cette réflexion majeure et originale, au sujet clé qui interroge nos existences : quel est le sens de notre vie ? La société ne répond pas à cette question car elle ne voit pas que, au-delà de la consommation matérielle et de la course à la survie, il y a un désir de croissance morale et spirituelle. Et les religions se révèlent souvent trop dogmatiques et sclérosées. Or nous sommes des êtres de cour, de raison et d’esprit. Il nous est impossible de vivre une vie qui n’aurait aucun sens. C’est donc à nous-mêmes de résoudre intérieurement cette question cruciale en trouvant une direction à notre existence.
Bertrand Vergely dans Notre vie a un sens !
Une pièce musicale de Domenico Scarlatti (1685 – 1757), Sonata in a minor K 61
