Douter de son émerveillement

Peu à peu, il entrait dans un tout, mais un bizarre tout, oh! qui n’avait rien d’une conscience cosmique ni transcendante ni éclatante – et qui pourtant était comme un million de petits éclatements d’or, fugitifs, insaisissables, moqueurs presque – peut-être faudrait-il dire une conscience microcosmique? – et chaleureuse: une douceur de rencontre subite, une éclosion de reconnaissance, une bouffée de tendresse incompréhensible, comme si ça vivait, vibrait, répondait dans tous les coins et tous les sens.

Étrangement, quand il avait une question, un doute, une incertitude de quelque chose ou de quelqu’un, un problème d’action, une anxiété de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, on aurait dit qu’il recevait une réponse dans les faits – pas une illumination, pas une inspiration, une révélation ni une pensée, rien de tout cela: une réponse matérielle dans les circonstances, comme si la terre, la vie elle-même se mettaient à répondre. Comme si les circonstances elles-mêmes venaient le prendre par la main pour lui dire: tu vois. Et pas de grandes circonstances, pas d’éclats sensationnels: de tout petits faits, le temps d’aller d’un bout de la rue à l’autre. Tout d’un coup, la chose venait à lui, la personne, la rencontre, l’argent, le livre, le fait inattendu – la réponse vivante.

Ou, au contraire, quand il espérait tant cette nouvelle (s’il n’était pas encore guéri de la maladie de l’espoir), quand il attendait cet arrangement, cette paix tranquille, cette solution claire, tout d’un coup il sombrait dans un chaos encore plus grand, comme si tout se mettait de travers – les gens, les choses, les faits – ou il tombait malade, était victime d’un «accident», rouvrait la porte à une vieille faiblesse et semblait reprendre une fois de plus le vieux circuit de la souffrance.

Et puis, deux heures ou deux jours ou deux mois après, il s’apercevait que cette adversité était exactement la chose qu’il fallait, ce qui conduisait, par un détour, à un but plus vaste qu’il ne l’avait prévu; que cette maladie purifiait sa substance, brisait une fausse course, et le ramenait, allégé, sur le sentier ensoleillé; que cette chute démasquait de vieux repaires et clarifiait son cœur; que cette rencontre fâcheuse était une perfection d’exactitude pour faire surgir tout un réseau de possibilités nouvelles ou d’impossibilités à vaincre; et que tout préparait minutieusement sa force, son élargissement, sa rapidité extrême par un millier de détours – tout le préparait au tout. Alors, il commence à entrer dans une succession de petits miracles incroyables, d’étranges hasards, de coïncidences inquiétantes … comme si, vraiment, tout savait, chaque chose savait ce qu’elle avait à faire et allait droit à son but microscopique au milieu d’un million de passants et de faits divers. Le chercheur commence à ne pas croire, il hausse les épaules et passe outre, puis il ouvre un œil, il ouvre encore un œil et doute de son émerveillement.

Satprem, né Bernard Enginger (1923-2007), Français, Breton, fut pendant vingt ans le confident de Mère, qui lui donna son nom véritable le 3 mars 1957 : Satprem « celui qui aime vraiment ». À l’âge de trente ans, il revient définitivement en Inde auprès de Celle qui cherchait le secret du passage à la « prochaine espèce », et forait en son corps ce passage. Mère, dont il deviendra le confident et le témoin pendant près de vingt ans.

Satprem dans La Genèse du Surhomme

Une pièce musicale de Be Still My Soul – William Joseph & Zack Clark

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