Sâdhana

L’Upanishad nous dit : « La divinité qui se manifeste dans les activités de l’univers réside toujours dans le cœur de l’homme comme âme suprême. Ceux qui la réalisent par la perception directe du cœur parviennent à l’immortalité. »

Ce Dieu est Vishvakarma (littéralement : « faire toute les actions », l’architecte de l’univers.), c’est-à-dire que sa manifestation extérieure dans la nature consiste en une multiplicité de formes et de forces, mais sa manifestation intérieure en notre âme est dans l’unité. Notre recherche de la vérité dans le domaine de la nature s’effectue par l’analyse et les méthodes progressives de la science, mais notre appréhension de la vérité dans notre âme est immédiate et par intuition directe. Nous ne pourrons jamais atteindre l’âme suprême par des additions successives de connaissances acquises en lambeau, fût-ce dans toute l’éternité, car Il est un et n’est pas composé de parties ; nous ne pouvons Le connaître que comme le cœur de notre cœur et l’âme de notre âme ; nous pouvons Le connaître seulement dans l’amour et la joie que nous éprouvons lorsque nous renonçons et que nous Le voyons face à face.

La prière la plus profonde et la plus intense qui se soit jamais élevé du cœur humain, a été exprimé en sanskrit : « Ô Toi qui te révèle Toi-même, révèle Toi en moi. » Nous sommes misérables parce que nous sommes des créatures de l’ego – l’ego intransigeant, étroit, qui ne reflète aucune lumière, qui reste aveugle devant l’infini. Notre ego retenti de ses propres clameurs discordantes ; il n’est pas la lyre bien accordée qui vibre de la musique de l’éternel. Des soupirs de mécontentement, la lassitude des échecs, les vains regrets du passé, l’angoisse pour l’avenir viennent troubler notre cœur trop superficiel parce que nous n’avons pas encore trouvé notre âme, et que l’esprit qui se révèle lui-même ne s’est pas encore révélé en nous. D’où notre appel : « Ô Toi qui est terrible sauve-moi par le sourire de Ta grâce, encore et à jamais! » C’est dans un linceul étouffant que nous enveloppe cet orgueil de l’ego, ces appétits insatiables, cette vanité de la possession, cette insolente aliénation du cœur. « Rudra, ô Toi qui est terrible, déchires-en deux ce voile épais, permet que le rayon sauveur de Ta grâce souriante perce ces lugubres ténèbres et réveille mon âme. »

« De l’irréel conduis-moi au réel, de l’obscurité à lumière, de la mort à l’immortalité. » Mais comment peut-on espérer que cette prière soit exaucée? La distance qui sépare la vérité de l’erreur, la mort de l’immortalité, n’est-elle pas infinie? Pourtant cet abîme immense est franchi en un instant lorsque Celui qui Se révèle Soi-même fait son apparition dans l’âme. C’est là que le miracle se produit, car là se rejoignent le fini et l’infini. « Père, balaie complètement tous mes péchés. » Car dans le péché, l’homme prend parti pour le fini, contre l’infini qui est en lui. C’est une défaite de son âme par son ego. C’est un jeu dangereux où l’on perd toujours, et dans lequel l’homme joue le tout pour gagner un fragment. Le péché est l’estompage de la vérité ; il cache la pureté de notre conscience. Dans le péché, nous aspirons à des plaisirs, non pas parce qu’ils sont véritablement désirables, mais parce qu’ils paraissent tels à la rouge lueur de nos passions. Nous désirons des objets non parce qu’ils sont grand en eux-mêmes, mais parce que nos appétits les magnifient et les font paraître grands. Ces exagérations, ces déformations de la perspective des choses rompent à chaque pas l’harmonie de notre vie ; nous perdons de vue la véritable échelle des valeurs, nous sommes distraits par les fausses prétentions des divers intérêts qui dans notre vie luttent les uns contre les autres. C’est par suite de cette incapacité à faire entrer tous les éléments de sa nature sous la direction unifiante du Suprême unique que l’homme ressent la douleur d’être séparé de Dieu et lance cet appel éperdu : « Ô Dieu, ô Père, balaie complètement tous mes péchés. » « Donne-nous ce qui est bon », le bien qui est le pain quotidien de notre âme. Dans nos plaisirs, nous sommes limités à nous-mêmes ; dans le bien, nous sommes libérés et nous appartenons à tous. De même que l’enfant dans le sein maternel est nourri par l’union de sa vie avec la vie plus vaste de la mère, de même notre âme est uniquement nourrie par le bien, qui est la reconnaissance de notre parenté intérieure, le canal par lequel l’âme communique avec l’infini qui l’entoure et la fait vivre. Aussi dit-on : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. » La justice en effet est la divine nourriture de l’âme. Rien d’autre ne peut alimenter l’homme, le faire vivre de la vie de l’infini, l’aider dans sa croissance vers l’éternel. « Nous nous prosternons devant Toi de qui vient le bien de notre âme. » « Nous nous prosternons devant Toi qui est le bien, le plus haut bien », en qui nous sommes avec tout ce qui est, dans la paix et l’harmonie, la bonté et l’amour.

Ce que l’homme appelle de toutes ses forces, c’est la réalisation de sa plus complète expression. C’est ce désir de s’exprimer qui le conduit à rechercher la richesse et la puissance. Mais il doit apprendre qu’accumuler n’est pas réaliser. Ce qui le révèle à lui-même, c’est la lumière intérieure, et non les objets extérieurs. Lorsque cette lueur jaillit, il sait instantanément que la plus haute révélation de l’Homme est la révélation de Dieu en lui. Et c’est cela qu’il appelle cette manifestation de son âme. L’homme devient l’homme parfait et atteint sa plus pleine expression lorsque son âme se réalise dans l’être infini qui est âvih, et dont l’essence est expression.

Rabindranàth Thakur, dit Tagore (1861-1941) est poète, romancier, dramaturge et philosophe de langues bengali et anglaise. Mais il est aussi peintre et compositeur. Sadhana constitue une introduction profonde et accessible à l’héritage spirituel de l’Inde. Tagore, passeur par excellence de la philosophie et de la spiritualité indiennes en Occident, était un poète intimement religieux ; toute son œuvre se veut un témoignage de ce que Dieu réside avant tout dans la pureté personnelle et dans l’attention à autrui. Sadhana, d’un terme sanskrit signifiant « discipline spirituelle », est une superbe distillation des grands textes de la philosophie indienne, et depuis longtemps un classique.

Rabindranath Tagore dans Sâdhâna

Une pièce musicale de Anoushka Shankar – Pacifica

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