Vies silencieuses

Les Grecs ne possédaient pas de mots pour le bleu. Homère lui-même devait recourir à de subtiles périphrases pour évoquer cette couleur. Pendant des siècles en Occident les hommes n’ont pas nommé le bleu. C’était au temps où la mer et le ciel rinçaient leurs teintures dans la gorge de curieuses divinités. On ignorait que les oiseaux qui picoraient dans le bleu suspendraient des grappes de fruits rouges sur le rebord de grandes assiettes en faïence.

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Au cœur du bleu un accord de rouge vibre puis s’estompe ! Langueur et nostalgie du chromatisme…

Quand le bleu se fait mélodie les feuilles frissonnent, jaunes sous les trilles, et accompagnent le récitatif du soir.

Alors le bleu peint la conscience avec des brosses qui dégorgent d’anges, d’arbres et de sonates.

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Il faudra prendre les plus belles couleurs, se saisir des pigments et des pierres broyées, y ajouter le blanc de l’œuf, il faudra préparer le mur, consolider le mortier et déplier encore et le lys et le sourire de l’ange près des ailes qui palpitent dans la fraîcheur du matin.

Le frère avait donné ses instructions à la cantonade, la Parole pouvait enfin s’accomplir.

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Après matines, quand le jour peint ses oiseaux sur la surface déjà bleue d’un ciel de fête, ils quittent le monastère et vont observer les bourgeons sur les branches et le vent dans les marguerites. Chaque abeille leur est connue. Chaque coccinelle est leur amie. Quand sonne la cloche des vêpres, ils se dépêchent de regagner la chapelle et lisent sur les fresques l’étonnante histoire de ces messagers célestes semblables à de grands papillons bariolés qui butinent, parmi les fleurs des champs, le suc d’une nouvelle aurore.

Daniel Kay dans Vies silencieuses

Une pièce musicale de Eric Aron From the sky – « Almitra »

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