
La nature, les choses qui font partie de notre environnement quotidien sont éphémères et périssables. Mais tant que nous sommes ici, elles sont « notre » propriété, nos amies, nos complices dans la détresse et la joie, comme elles l’ont été pour nos ancêtres. Donc il est important de ne pas mépriser ni dégrader ce qui existe dans l’ici et maintenant – et surtout, parce qu’à cause de leur côté provisoire, qu’elles partagent avec nous, ces choses doivent être, le plus intimement possible, comprises et transformées par nous. Transformées ? Oui, car c’est notre tâche d’imprimer en nous, passionnément, profondément, douloureusement, cette terre périssable, qui n’a qu’une vie provisoire, pour que sa réalité renaisse en nous – mais « invisible ». « Nous sommes les abeilles de l’Invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’Invisible ».
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… vous devez faire en sorte que sa vie continue à l’intérieur de la vôtre, dans la mesure où elle n’était pas achevée; sa vie est désormais passée dans la vôtre. Vous, qui le connaissiez si bien, pouvez avancer sur son chemin avec lui en vous. Donnez ce sens à votre deuil : explorez ce qu’il attendait de vous, ce qu’il aurait souhaité qu’il vous arrivât.
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Toutes les personnes qui ont fait partie de notre univers dans la vie restent présentes à jamais. Partout. Dans la vie et la mort. Nous devons vivre avec les deux à l’intérieur de nous, garder ce lien intime. Je connais des êtres qui savent faire face à l’un et à l’autre, sans crainte, et avec le même amour. Nous sommes vrais et purs seulement si nous voulons faire partie du tout, sans frontière, de quelque chose de grand, de grandiose.
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Ne pas chercher à être consolé d’une perte, cela devrait être instinctif chez nous. Et nous devrions plutôt mobiliser toute notre profonde, lancinante curiosité, pour aller explorer au plus profond de nous, jusqu’au cœur d’une « telle » perte, pour la comprendre, faire l’expérience de la nature unique et singulière de « cette » perte-là et de son impact dans notre vie. Oui, nous devrions faire preuve d’une audacieuse et noble avidité pour enrichir notre monde intérieur avec, précisément, « cette » perte, son sens, son poids… Plus nous en sommes profondément affectés, plus elle nous bouleverse brutalement, plus il est de notre « devoir » de la revendiquer comme faisant partie de nous, intégrée de manière différente, définitive: « ceci » permettrait de parvenir immédiatement à un accomplissement suprême, d’aller au-delà de tout ce qu’une expérience de la souffrance peut avoir de négatif et de complaisant. Il s’agira alors d’une souffrance active, présente à l’intérieur de nous, la seule qui ait un sens et soit digne de nous.
Rainer Maria Rilke dans Sa vie est passée dans la vôtre
Une pièce musicale de Florian Christl – Close Your Eyes
