Cultiver la joie

Pour trouver un substitut à la joie – car tout homme est en quête de joie – le mental recherche la satisfaction de diverses formes de plaisirs en désirant des choses extérieures ou situées dans l’avenir. Mais tout plaisir porte en lui les germes de la souffrance : frustration, ressentiment, haine, apitoiement sur soi, culpabilité, colère, dépression, jalousie. La souffrance est, dans son essence, une résistance à ce qui est. Toutefois, il est inutile de chercher à se libérer du désir d’avoir, il faut plutôt apprendre à être. Pourquoi le mental cherche-t-il à nier l’instant présent ou à y résister ? Parce qu’il pressent l’intemporel présent comme une menace pour lui-même. En effet, le temps et le mental sont indissociables. Pour assurer sa position dominante, le mental cherche à dissimuler l’instant présent. Faisons du présent notre résidence principale et n’accordons au passé que de brèves entrevues lorsque nous devons affronter des aspects pratiques de notre vie.

Épictète disait : « Si tu veux aller aux bains, veuille aussi être éclaboussé ! » Quoi que nous réserve le présent, acceptons-le comme si nous l’avions choisi. Accepter l’instant présent n’est pas une simple résignation, mais permet au contraire d’être plus actif. Notre mot d’ordre devrait être : « Acceptons puis agissons. » Faisons du présent un allié, surfons sur sa vague au lieu de nous heurter à lui de plein fouet. Quand on fait de la voile, on peut être amené à constater que le vent a tourné. Que faut-il faire ? Continuer à border ses voiles au plus près alors que l’on est maintenant vent de travers ? Ce serait s’exposer à chavirer. Il faut donc prendre acte du fait, de ce qui est, l’accepter pleinement et agir immédiatement en conséquence, en modifiant son allure ou en changeant de cap.

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Avec le temps, et cela depuis notre enfance, toutes les souffrances et toutes les blessures psychologiques se sont accumulées au point de constituer une sorte d’entité à la fois psychique et corporelle – le « vieil homme » dont parle saint Paul3 – à laquelle nous nous identifions. Ce vieil homme veut s’emparer de nous, veut devenir nous. Lorsqu’il nous possède, nous nous mettons à vouloir souffrir ou faire souffrir. Ce double négatif de nous-mêmes se nourrit de notre souffrance et nous plonge dans un état d’inconscience ordinaire. Non que nous perdions conscience au sens propre, mais nous sommes comme des somnambules, nous ne vivons pas en pleine conscience. Il s’agit d’un véritable combat car lorsque nous commençons à nous désidentifier de ce vieil homme, il cherche toujours par la ruse à regagner son emprise sur nous. Il est donc nécessaire d’être le gardien vigilant de notre espace intérieur. C’est ce que les moines du mont Athos appellent la garde du cœur.

Alain Durel dans Cultiver la joie: Être heureux ici et maintenant

Une pièce musicale de Cirque du Soleil – Alegria