Un monde en crise

Être seul en ce monde est l’une des choses les plus difficiles : n’appartenir à aucune nation, si ce n’est peut-être en ayant un passeport ; n’adhérer à aucune idéologie, n’avoir aucune activité politique à gauche comme à droite ; ne répéter aucun mot dont on ne connaisse personnellement le sens, afin de conserver son intégrité. Car, si vous appartenez à une quelconque organisation, à un groupe ou si vous suivez un gourou, ou qui que ce soit, vous êtes malhonnête envers vous-même. Dans un monde aussi désordonné, aussi divisé, plein d’antagonismes, de violences et de mensonges, peut-on rester complètement seul ou est-ce impossible ? Désolé, c’est l’un ou l’autre. Vous ne pouvez pas dire : « Eh bien, j’appartiens à tel petit groupe mais en fait je reste dégagé de tout cela. » Vous savez, dès lors que l’intégrité, l’honnêteté et la vertu sont absentes, les systèmes et les organisations prennent une importance énorme, ils contrôlent l’esprit. Vous ne l’avez jamais remarqué ? Cependant, si l’esprit est vraiment honnête avec lui-même, droit et clair, tout système devient superflu, car il est totalement vertueux.

Nous voilà donc confrontés au problème suivant : comment l’esprit si contrôlé, façonné par le milieu, conditionné par de multiples influences, par l’éducation que l’on reçoit, la compétition, l’agression, la violence et tout le reste – comment un tel esprit peut-il se libérer, c’est-à-dire être complètement libre et sain ? Comment vous, dont l’intellect est très développé, qui avez lu tant de choses, allez-vous résoudre ce problème ? En vous en remettant à quelqu’un d’autre ? Autrement dit à une autorité, n’est-ce pas ? Qu’il s’agisse de celle d’un analyste, d’un psychologue, d’un prêtre ou de celle d’un sauveur, on connaît tout cela – allez-vous mettre votre foi, votre confiance en quelqu’un pour résoudre ce problème à votre place ?

Allez-y, répondez par vous-même. Vous voyez, malheureusement nous comptons sur autrui, nous disons : « Je ne sais pas, je ne sais pas comment résoudre ce problème. Il est trop complexe. Je n’y ai pas consacré suffisamment de temps, je n’y ai pas suffisamment réfléchi, alors que lui y a passé du temps, il s’est investi. J’accepte donc ce qu’il dit. » Et vous ajoutez : « Pourquoi pas ? Il sait et moi pas. » Et vous faites de lui l’autorité, et vous vivez ainsi une vie de seconde main. Or il ne s’agit pas d’un problème de seconde main, c’est votre problème, c’est vous qui devez le résoudre sans passer par quelqu’un d’autre, sans mettre votre foi en quelque chose. Nous avons joué à ce jeu pendant des milliers d’années avec nos gourous, nos sauveurs, nos maîtres, nos spécialistes et nous n’avons pas changé. Il s’agit donc de votre problème et vous ne pouvez vous en remettre à personne d’autre et, notamment, pas à l’orateur. D’accord ? L’orateur, c’est-à-dire moi !

Jiddu Krishnamurti (1895-1986) : Il fut un libre penseur, qui s’est promené dans le monde. Il est considéré comme l’un des grands penseurs et maîtres spirituels. Il ne proposait aucune philosophie ou religion. Il expliquait avec minutie les subtils mécanismes de l’esprit humain, et il insistait sur la nécessité d’introduire une qualité profondément méditative et spirituelle dans notre vie de tous les jours. Il n’appartenait à aucune organisation, aucune secte, à aucun pays, ne s’inscrivait dans aucun courant de pensée, politique ou idéologique. Il affirmait tout au contraire que ce sont là les véritables facteurs qui divisent des hommes et entraînent les conflits et les guerres. Citation : Ce que je vous demande, c’est d’ouvrir votre esprit, non de croire.

Jiddu Krishnamurti dans Vivre dans un monde en crise – Ce que la vie nous enseigne en ces temps difficiles

Une pièce musicale de Joe Lovano · Marcin Wasilewski Trio – Glimmer Of Hope