Le plâtrier siffleur

Je ne pense pas que la nature connaisse la solitude terrible dans laquelle nous pouvons nous trouver. Je suis parfois soufflé par la conversation incessante du pré qui fait face à la fenêtre devant laquelle j’écris. Je regarde, je n’entends rien, la fenêtre est fermée, et quand bien même serait-elle ouverte, aucune rumeur ne me parviendrait, mais je vois très bien l’agitation des brins. Ils sont comme huilés par la lumière. Si j’avais le talent de regarder à fond – un talent qui me manque trop souvent -, je verrais, parce que je le sens, que chaque brin est différent du brin voisin. Ils sont sans arrêt pris dans un événement. Dans l’événement de la brise, de la pluie, dans l’événement des lumières qui vont, qui viennent, qui s’affairent on ne sait trop à quoi, du jour qui s’en va, du froid qui remonte de la terre. Est-ce qu’il y aura encore un autre jour ? Le pré est rempli de mille questions qui sont sans impatience d’une réponse.

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J’essaye de recueillir des choses très pauvres, apparemment inutiles, et de les porter dans le langage. Parce que je crois qu’on souffre d’un langage qui est de plus en plus réduit, de plus en plus fonctionnel. Nous avons rendu le monde étranger à nous-mêmes, et peut-être que ce qu’on appelle la poésie, c’est juste de réhabiter ce monde et l’apprivoiser à nouveau.

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Il est possible que, par l’attention aux choses menues, très simples, très pauvres, je trouve peut-être ma place dans ce monde. 

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Les bébés sont les grands sages. Le vrai savoir est dans leurs yeux. C’est comme des clous de poésie enfoncés dans un tout petit lit, un bébé. C’est comme un soleil qui serait tombé comme ça. Qui nous ferions la grâce d’être tombé juste devant nous et qui dormirait dans la pièce d’à côté. C’est le visage même de la sagesse qui n’est pas un visage de savoir. Je comprends qu’on ait représenté le Bouddha sous des formes toutes gélatineuses de bébé. Ils ont plusieurs vertus, ces gens qui ont très peu de jours. Une de leurs grandes vertus est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent sans morale, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution. Il n’y a aucune distance entre leurs yeux et Dieu ou les anges ou les atomes de l’air si on ne croit pas en Dieu ou aux anges. Les bébés sont à une cloison de papier de riz de la vérité.

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Il me semble que la poésie est comme une explication, mais qui n’explique rien.

Christian Bobin (1951-2022) est un écrivain et poète français. Il est particulièrement connu pour son style d’écriture poétique et méditatif, qui explore souvent des thèmes tels que la nature, l’amour, la beauté, et la spiritualité.

Christian Bobin dans Le plâtrier siffleur

Une pièce musicale de Joep Beving – Reflection