Nager

Vivre à fond tient de la dégustation plus que de la dévoration. J’ai toutes les peines à vivre le moment présent sans désirer qu’il perdure et je ne jette encore les mille et un tracas qui me traversent chaque jour. Les exercices spirituels me sont certes d’une belle utilité mais le saut essentiel, je le diffère sans cesse. Dans la tristesse, par exemple, je pourrais me laisser couler au fond, abandonner la surface, car, là où règne de l’agitation, là se développent aussi les vagues. Sur ce terrain, mon corps a une longueur d’avance sur l’esprit : j’ai appris il y a quelques mois, à nager. J’ai découvert que pour flotter il n’y avait rien à faire. Sans résistances, sans tensions, le nageur qui excelle dans l’art de flotter, n’a rien à faire. Cette non-activité sportive pourrait inspirer un art de vivre : ne rien faire, ne pas lutter, ne pas s’opposer, ne pas discuter le réel mais se laisser flotter en lui.

Le détachement, au milieu de la vague des passions, c’est l’art de flotter allègrement.

*

La vie est mouvement, et l’équilibre s’acquiert, se découvre et se réinvente constamment au cœur du quotidien

*

La rencontre, voilà bien le lieu des passions, de la comparaison, de l’attirance et de la possession, de la fascination, de la peur et de la colère, de la honte et des jalousies. Mais surtout de l’amour, de l’émulation, de l’amitié et…de la joie.

*

Quel gouffre entre ce que je voudrais, ce que je pourrais être, et ce que je suis !

Alexandre Jollien (1975), handicapé de naissance (suite à son étranglement par cordon ombilical à sa naissance, il est atteint d’athétose), est philosophe et conférencier. Alexandre Jollien tente ici de dessiner un art de vivre qui assume ce qui résiste à la volonté et à la raison. Le philosophe se met à nu pour ausculter la joie, l’insatisfaction, la jalousie, la fascination, l’amour ou la tristesse, bref ce qui est plus fort que nous, ce qui nous résiste… Cette méditation inaugure un che’in pour puiser la joie au fond du fond, au plus intime de notre être.

Alexandre Jollien dans Le philosophe nu

Une pièce musicale de Handel: Water Music Suite in D Major, HWV 349 – Hornpipe