
L’ennemi se présente enfin sous la forme de tout ce qui va mal dans le monde et de ceux que l’on tient responsables de ces malheurs : les inégalités économiques qui ne favorisent que les riches, les industries qui polluent les cours d’eau et qui transforment des terrains vagues en décharges qu’il faut ensuite nettoyer, les politiciens qui prennent des libertés avec les droits sociaux et constitutionnels, les riches groupes de pression pleinement subventionnés qui ne veillent qu’à leurs propres intérêts. Peu importe où l’on regarde, on trouve un groupe qui s’en met un autre à dos.
On n’a pas à chercher bien loin pour trouver des ennemis : ils sévissent dans le quartier, dans l’école du voisinage. Les médias se font l’écho des actes de terrorisme et de violence armée, mais l’intimidation chez les jeunes est un problème bien plus insidieux qui a pris des proportions gigantesques. La race, les croyances, la nationalité, la classe sociale, l’orientation sexuelle, voire le bégaiement ou le « mauvais » goût – tout est devenu matière à intimidation. Et les conséquences sont parfois fatales.
Les ennemis sont partout. On n’a qu’à ouvrir le journal ou la télé pour le constater. On est bouleversé de voir un pays en attaquer un autre ou s’en prendre à ses propres habitants. Et lorsque l’on vit dans le pays agresseur – je pense à l’opération Shock-and-Awe menée par les États-Unis à Bagdad –, on est déchiré entre le désir de vaincre les méchants et le sentiment de tristesse et de culpabilité qu’inspirent toute cette souffrance et toute cette violence.
On se voudrait invulnérable, insensible aux préjudices. Or, se cacher ou fuir n’offre qu’une solution temporaire. Tôt ou tard, on se fait rattraper. Pour être hors d’atteinte, il faut changer sa façon de voir ses ennemis et apprendre à considérer chaque attaque comme une occasion d’en tirer avantage. En effet, comment peut-on aiguiser sa patience sans la mettre à l’épreuve ? C’est là qu’on a la chance de réagir sans agacement, crainte ou colère, sans se poser en victime. C’est pour cette raison que l’on a besoin d’ennemis. Soyons redevables à nos ennemis, a dit le dalaï-lama, car ils nous enseignent la patience, le courage et la détermination, et ils nous aident à acquérir la tranquillité d’esprit.
Si vous souhaitez venir à bout de vos ennemis, vous devez surmonter la haine et la peur que vous entretenez envers ceux qui vous font du mal, qui vous en ont fait, qui ont l’intention de vous en faire ou qui pourraient vous en faire. C’est un défi de taille qui doit être relevé lentement, graduellement.
Sharon Salzberg (1952- ) a étudié le bouddhisme en Inde et dirige aujourd’hui des retraites de méditation dans le monde entier.
Sharon Salzberg dans Aimez vos ennemis : Briser le cercle de la colère et accéder au bonheur
Une pièce musicale de Ichiko Aoba – Coloratura
