
Il n’y a pas la moindre sagesse dans ma vie. Pas non plus de folie. Je ne sais pas au juste ce qu’il y a dans ma vie. La vie peut-être, simplement.
Et la solitude, sagesse et folie confondues. La solitude occupe ma maison à un point incroyable de sans gêne.
Elle ne laisse rien en dehors d’elle, sauf la page blanche. C’est lorsque j’écris que je suis le moins seul. La solitude, quand elle monte dans un couple, est terrible, malfaisante.
Quand elle entre chez moi elle est – comment dire : détendue. Elle a ses habitudes, sa place faite. La solitude est une maladie dont on ne guérit qu’à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède, nulle part.
J’ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d’être seuls et demandent au couple, à l’amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l’amitié ni le diable ne peuvent donner une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie.
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L’intelligence n’est pas affaire de diplômes. Elle peut aller avec mais ce n’est pas son élément premier. L’intelligence est la force, solitaire, d’extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l’autre là-bas, comme nous égaré dans le noir.
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C’est le droit élémentaire de ceux que j’aime de me quitter sans aucune explication, sans raisonner leur départ, sans prétendre l’adoucir par des raisons qui seront toujours fausses. Ceux que j’aime, je ne leur demande rien. Ceux que j’aime, je ne leur demande que d’être libres de moi et ne jamais me rendre compte de ce qu’ils font ou de ce qu’ils ne font pas, et, bien sûr, de ne jamais exiger une telle chose de moi. L’amour ne va qu’avec la liberté. La liberté ne va qu’avec l’amour.
Christian Bobin dans L’épuisement
Une pièce musicale de Alex Nevsky – Aronde
