Le jardin du littré

L’art des jardins, en Chine comme au Japon, procède, comme les arts graphiques, d’une esthétique du vide et du plein dont les prémisses sont extrêmement différentes de celles du monde occidental. En Occident, dès la Grèce antique, l’esprit appliqua sa réflexion sur la réalité visible dans le cadre de l’idée de matière, alors que dans le même temps, de l’Inde à la Chine, la matérialité du visible était négligée. Ce que nous nommons matière était pris en compte sous le nom de forme, par opposition à un agent premier efficient et invisible, essentiel, le principe, le tao, l’esprit. Ce principe premier est créateur, mais le monde visible, au lieu d’être un artefact, une projection extérieure à lui, est son propre corps d’apparence. En Inde, ce principe premier est Brahman, il est être et non-être. Shûnya, le vide, joue un rôle comparable dans le bouddhisme. En Chine, cet efficient impersonnel, invisible et omniprésent est le tao, et dans le chan, le vide.

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Dans l’art du jardin, le séparer et le relier, le montrer et le cacher s’articulent rigoureusement comme les rimes et les rythmes d’un poème. Sans règles, le poème est un chaos, sans inspiration il reste formel et sans objet. L’art du créateur de jardin sera de savoir établir une certaine progressivité dans la visite tout en ménageant des contrastes. On ouvre, mais on ferme d’abord. On montre, mais en cachant. Le grand, on le montre par le petit. Le petit, on le dévoile par le grand.

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La vraie force est sise au fond d’une assurance tranquille. Pour vaincre elle n’a plus besoin de combattre car elle soumet sans avoir besoin d’agir. Cet idéal de maîtrise et de force intérieure est partagé par les trois écoles, confucianisme, taoïsme et bouddhisme. L’homme fort fait fi du pouvoir, il se retire dans les montagnes et cultive son jardin.

Né à Paris, en 1949, Antoine Marcel quitte la Sorbonne pour effectuer de longs séjours en Afrique, aux États-Unis et au Moyen-Orient, avec une prédilection pour l’Asie, et particulièrement pour la Chine, où il séjourne régulièrement. Retiré quelque part dans les causses, au Sud de la France, à la façon des ermites-lettrés de la Chine ancienne, il consacre désormais son temps à l’étude, à l’écriture, à la méditation zen et à la marche. Auteur de Carnet chinois et Traité de la cabane solitaire. Il est aussi pépiniériste, créateur de bonsaï et de jardins d’influence extrême-orientale (en 2002). – Ancien scaphandrier.

Antoine Marcel dans Le Jardin du lettré

Une pièce musicale de Secret garden – End Of A Journey