Malentendeur

Le bonheur est lié à la sagesse, à l’équilibre, à la paix et à l’élévation de l’âme, certes, mais il est aussi lié à la volonté de le reconnaître, de le saisir, de l’attraper dans les interstices de cette ligne du temps remplie de blessures et de diverses misères. Il en faut, du vouloir, pour absorber tous ces coups, pour apprivoiser ses douleurs, pour rebondir et se déclarer heureux quand même.

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La pensée est dans un piètre état depuis que plus personne ne doute de son point de vue.

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Car si tout était clair, et si « les mots pour le dire nous venaient si aisément », il est évident que nous n’aurions, depuis longtemps, plus rien à ajouter.

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Le langage nous cache les uns aux autres, il est une ruse. Blaise Pascal allait plus loin. Il disait que ce qui réunit les humains, ce sont les malentendus sur lesquels ils s’accordent. Dès lors, la clarté et la précision n’ont pas la valeur qu’on leur donne. Nous ne voulons pas nous faire entendre. Nous voulons plutôt ajouter aux mystères de notre communication symbolique. L’être humain n’est ni un émetteur ni un récepteur, c’est un « malentendeur ».

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Ce matin, je suis heureux. Je regarde la rivière, il fait beau, dans le boisé les feuilles de l’érable ont tourné à la couleur orange, des outardes résidentes volent en petites bandes au fil de l’eau , elles jappent. Le grand tremble frilote, je bois ce café essentiel sans lequel je ne saurais survivre, et je commence dans le calme une journée de lecture et d’écriture avec l’impression que je serai béni par de grandes inspirations

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Le hurlement du loup donne à penser tandis que l’aboiement hystérique du chien agace.

Serge Bouchard (1947-2021) est un anthropologue, écrivain et animateur de radio québécois. Les quelque 70 textes qui composent ce nouveau recueil de Serge Bouchard pourraient s’appeler des « micro-essais », d’abord parce qu’ils ont été écrits pour la radio de Radio-Canada, et aussi en raison de l’exigence artistique qui les inspire, celle de la brièveté, c’est-à-dire d’une prose aussi dense, économique et précise que possible, et qui possède en même temps le pouvoir d’évocation de la poésie. Mais avant tout, ce recueil est un livre d’amour et de deuil, tout entier placé sous le signe de Marie, la compagne trop tôt disparue, dont la présence (ainsi que l’absence) colore chaque page.

Serge Bouchard dans Un café avec Marie

Une pièce musicale de Jean-Michel Blais – Doux