La poésie sauvera le monde

On rêve d’une minute de silence universel où le monde se tiendrait soudain immobile et muet, les yeux clos, attentif au seul respire du vent dans les arbres, au chuchotement clair d’un ruisseau, au déploiement d’une herbe dans la lumière, à l’unanime pulsation du sang dans les cœurs, une minute pour que le monde reprenne conscience et se réajuste à la seule réalité qui vaille, le pur sentiment d’exister un et multiple, entre deux néants, sur la terre perdue dans les cieux innombrables.

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Oui, la poésie c’est la vie même, la vie en intensité, ramenée à son rythme essentiel, celui du souffle et de la scansion du sang, cela seul qui justifie qu’on inventât le vers : quoi d’autre? La veine bat aux tempes du poème. En raison de quoi, tout vrai poème, outre les circonstances de l’époque qui le vit naître, est notre contemporain. Tout vrai poème est contemporain d’un cœur qui bat.

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Il se trouve que si le poème nous rend à cette intensité, c’est qu’il ne ment pas : tout poème a pour arrière-pays la mort. Le poème est ce rebranchement immédiat de la conscience à vif sur l’intensité de la vie dans la mort. Or il dit réciproquement, car le poème est sans âge, la relativité de la mort dans la vie puisque la nappe phréatique de la vie est inépuisable : « Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel. » dit René Char.

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Parmi tous les moyens de la médiation avec le réel, la poésie, pour n’avoir jamais perdu le lien sensible avec le monde parce qu’il lui est consubstantiel, parce qu’il est sa visée même, est au regard de l’actuelle désensibilisation de nos facultés perceptives, des plus indispensables. Ce qu’écrivait Shelley en 1821 dans sa Défense de la poésie trouve dans notre aujourd’hui sa pleine justification :

La culture de la poésie n’est jamais plus désirable qu’aux époques pendant lesquelles, par suite d’un excès d’égoïsme et de calcul, l’accumulation des matériaux de la vie extérieure dépasse le pouvoir que nous avons de les assimiler aux lois intérieures de la nature humaine.

Jean-Pierre Siméon (1959- ) est un poète et un dramaturge.

Jean Pierre Siméon dans La poésie sauvera le monde

Une pièce musicale de Sarah McLachlan interprétée avec Josh Groban – Angel

Les paroles sur https://www.lacoccinelle.net/243627-sarah-mclachlan-angel.html