Passages furtifs

Le coup de vent ne retiendra rien.

Il disperse toute la senteur

Des champs de blé mûris à point

Craquant sous la chaleur de juin.

Seules les sauterelles sur épis

Crient leur soif à la vieille plaine,

Lorsque se tait la voix humaine.

*

Comment se fait-il que tout le génie d’un arbre ou d’un arbuste qui s’incarne successivement dans la sève, dans les branches, dans les feuilles et les fleurs aboutisse finalement à cette chose miraculeuse qu’est le fruit, qui contient de la chair, du jus, une couleur, un parfum, une saveur et des graines qui sont la promesse d’une nouvelle naissance ? Et songeons que tout cela est enveloppé d’une écorce à la forme parfaite, ronde comme la Terre, et comme tous les astres en rotation. Chaque fruit est un microcosme qui répond au macrocosme de l’univers vivant. Quand on mord dans un fruit, on mord à même le secret de la création.

*

Le trésor terrestre à peine effleuré,

Voici que, muette, l’aurore se retire,

Laissant vacants la demeure et le jour,

Où se meut l’ombre de la nostalgie.

*

Je crois qu’un mystique a la nostalgie d’atteindre l’état originel où il pourrait assister au jaillissement même de la première lumière, quand Dieu a dit : «Que la lumière soit.»

*

Pourquoi tant d’attente lors d’un furtif passage ?

François Cheng (1929-) est un écrivain, poète et calligraphe chinois naturalisé français en 1971.

François Cheng dans Entretiens avec Françoise Siri

Une pièce musicale de Eric Aron – Suzhou (China)