Sourire

– Pourquoi est-ce que tu ne souris jamais, Momo ? me demanda monsieur Ibrahim.

Ça, c’était un vrai coup de poing, cette question, un coup de vache, je n’étais pas préparé.

– Sourire, c’est un truc de gens riches, monsieur Ibrahim. Je n’ai pas les moyens.

Justement, pour m’emmerder, il se mit à sourire.

– Parce que tu crois que, moi, je suis riche ?

– Vous avez tout le temps des billets dans la caisse. Je ne connais personne qui a autant de billets devant lui toute la journée.

*

M’sieur Ibrahim, quand je dis que c’est un truc de gens riches, le sourire, je veux dire que c’est un truc pour les gens heureux.

_ Eh bien, c’est là que tu te trompes. C’est sourire, qui rend heureux.

*

Essaie de sourire, tu verras.

*

Bon, après tout, demandé gentiment comme ça, par monsieur Ibrahim, qui me refile en douce une boîte de choucroute garnie qualité supérieure, ça s’essaie…

Le lendemain, je me comporte vraiment comme un malade qu’aurait été piqué pendant la nuit : je souris à tout le monde.

*

C’est l’ivresse. Plus rien ne me résiste. Monsieur Ibrahim m’a donné l’arme absolue. Je mitraille le monde entier avec mon sourire. On ne me traite plus comme un cafard.

Éric-Emmanuel Schmitt (1960) est un écrivain et réalisateur français naturalisé belge. Ses œuvres sont très inspirantes.

« Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran » est le récit rétrospectif d’une adolescence : celle de Moïse, deux fois abandonné, qui trouve en la personne d’un épicier soufi un initiateur à la sagesse et un guide sur le chemin de la vie. Ce texte est le lieu d’une réflexion sur l’amitié, la force de vivre, la tolérance. Fable, conte, voyage initiatique, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran propose également un travail sur l’art et les fonctions du dialogue dans le récit.

Eric-Emmanuel Schmitt dans Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran

Une pièce musicale de Quentin Dujardin – Monsieur Ibrahim