
Si je reviens chaque jour à une certitude absolue, que je comprends et dont je suis convaincu, je verrai le chemin, la direction qui me permettra de savoir comment je vis. Je me verrai enfermé dans le cercle étroit de mes désirs et de mes intérêts, pris par la vie. Pourtant, en me sentant chaque jour dans un autre état, hors de ce cercle, je reconnaîtrai qu’en réalité je peux m’échapper, et je verrai peut-être même que ce cercle n’existe pas.
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Nous ne sommes pas ce que nous croyons être. Aveuglés par notre imagination, nous nous estimons trop, nous nous mentons. Nous nous mentons toujours, à chaque instant, toute la journée, toute notre vie. Il faut s’arrêter intérieurement et observer, observer sans prendre parti, accepter pendant un certain temps cette idée du mensonge. Alors peut-être verrons-nous que nous sommes quelque chose de différent de ce que nous pensions être. Je peux avoir des moments de calme réel, de silence, où je m’ouvre à une autre dimension, à un autre monde. Ce que je ne vois pas, c’est qu’en dehors de ces moments, je suis en proie à la violence, c’est-à-dire au conflit, aux contraires. Et en découvrant de nouvelles possibilités en moi, j’ai besoin de savoir de quoi est fait cette partie de ma nature, de voir que ce n’est pas quelque chose d’étrange que l’on peut écarter quand on le veut, mais que c’est ce que je suis et que cet égoïsme féroce, c’est moi ; il faut que je prenne conscience de la nécessité d’un contact direct avec cette action égoïste qui ne cesse de m’isoler et de me diviser. Tout ce que je fais découle de cette action. Pour le voir, je dois m’observer sans aucune image, entrer en contact intime et réel avec moi-même. Pourquoi avons-nous un besoin impérieux de nous réaliser ? Un élan profond est en jeu : la peur fondamentale de ne pas être, la peur de l’isolement total, du vide, de la solitude. Notre mental a créé cette solitude, avec ses pensées auto-protectrices et égocentriques comme « moi », et « mien », mon nom, ma famille, ma position, mes qualités. Mais au fond, nous nous sentons vides et seuls, nous avons une vie étroite et superficielle. Émotionnellement nous avons faim et intellectuellement nous sommes répétitifs. Tout le temps nous essayons de combler ce vide. Puisque notre moi petit et mesquin est une source de douleur, nous voulons, consciemment ou inconsciemment, nous perdre dans une excitation individuelle ou collective, ou dans une certaine forme d’expérience sensorielle. Tout dans notre vie : les divertissements, les livres, la nourriture, la boisson, le sexe, nous encourage à chercher des stimuli à différents niveaux.
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Tout le temps nos esprits sont occupés à s’évader, à souhaiter être complètement absorbés par quelque chose, captivés par une croyance, un espoir, un amour, un travail.
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L’évasion est devenue plus importante que la vérité que nous n’affrontons pas. En tournant autour de ces intérêts mesquins, notre mental étroit minimise les défis de la vie, les interprétant avec sa compréhension limitée.
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En conséquence, notre vie souffre d’un manque de sentiment intense, d’un manque de passion. C’est un problème essentiel. Avec une véritable passion au fond de nous-mêmes, nous devenons extrêmement sensibles à la vie : pauvreté, richesse, corruption, beauté, nature… , à tout…
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Notre état habituel est négatif, toutes nos émotions sont des réactions. En fait, nous ne savons pas ce qu’est un sentiment positif, ce qu’est aimer…
Mon moi, mon ego, est toujours pris par ce qui me plaît ou ce qui ne me plaît pas, ce qui «j’aime» ou «je n’aime pas». Il veut toujours recevoir, être aimé, et ça me pousse à chercher l’amour. Je donne pour recevoir. C’est peut-être la générosité du moi, mais ce n’est pas la générosité du cœur. J’aime avec mon ego, pas avec mon cœur. Profondément, ce moi est toujours en conflit avec l’autre et refuse de partager. Vivre sans amour, c’est vivre une contradiction perpétuelle, c’est le rejet du réel, de ce qui est…
A la mort de G. I. Gurdjieff, Jeanne de Salzmann, qui l’avait accompagné depuis 1919, a patiemment consigné par écrit l’enseignement reçu et toutes les expériences rencontrées pour s’assurer de la bonne sauvegarde de ce qui avait été transmis.
Ce livre est la trace et le guide de cette quête, il rend enfin compte de l’extraordinaire apport d’une femme investie corps et âme dans la connaissance de soi.
Jeanne De Salzmann dans La réalité de l’être
Une pièce musicale de Rachel Portman : Flight par Angèle Dubeau & La Pietà
