
Il faut être à I’intérieur d’un foyer violent pour comprendre ses codes et ses rouages spécifiques : la notion du temps y est élastique, les règles changent selon les humeurs, les paroles et les gestes sont sujets à interprétation constante. La peur de son conjoint s’accompagne du développement d’un sixième sens : on sait, on sent, on peut rester immobile, jouer à la morte, on peut bondir et se mettre à courir. Le foyer violent est un monde à part et ceux qui n’y sont pas disent des phrases telles que : « Pourquoi elle n’est pas partie? » « Pourquoi elle n’en a parlé à personne ? » « Pourquoi elle n’est pas allée à la police ? » « Pourquoi elle s’est remise avec lui ? »
Ce monde-là, retourné sur lui-même. Macérant dans une violence sourde et sournoise la nuit tombée et remettant les masques de la famille normale le jour. Ce monde où l’emprise de l’homme se fait plus étouffante à mesure que la volonté de la femme de s’en libérer se fait plus évidente. Ce monde semblable à un bras de fer permanent. Ce monde-là n’est jamais une histoire aussi simple à résumer que par ces mots : « Elle aurait dû partir. »
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Peut-être que si le récit pouvait s’écrire dans une vérité entière, sans oublier la complexité, le contexte, les points de vue, il offrirait une encyclopédie de perspectives sur la violence et l’emprise dans un couple, mais ici n’est pas le lieu des archives, de la statistique, de la clairvoyance, de la justice. Ici est un monde de monceaux, de bribes, de mémoires, de souvenirs, d’affects. Ici subsistent le souffle des rêves, le grain des peaux, le sel des larmes, I‘épaisseur des nuits et le goût du temps. lci se côtoient la vie et la mort, le passé et l’avenir, le possible et l’inimaginable, les fantômes et les vivants. Mis bout à bout, cela forme un artefact.
La nuit au cœur entrelace trois histoires de femmes victimes de la violence de leur compagnon. Sur le fil entre force et humilité, Nathacha Appanah scrute l’énigme insupportable du féminicide conjugal, quand la nuit noire prend la place de l’amour.
Nathacha Appanah dans La Nuit au cœur
Une pièce musicale de Armand Amar – Inanna
