Initiation à la sobriété de l’âme

Les Pères de la philocalie appelleront cette attitude positive et heureuse à l’égard du monde : « théoria physikê », contemplation du Théos (lumière) dans la physis (matière) : reconnaissance de la présence de Dieu dans la nature, évidence de l’Invisible qui enveloppe et habite toutes choses visibles, enveloppement infini de toute finitude, expérience et vision (théoria) de la lumière ou conscience incréée en toute création. Les mots s’ajoutent aux mots sans jamais pouvoir dire la beauté dans ce qu’elle a de toujours ineffable.

Le seul moment où YHWH/Dieu (la Conscience, l’Imagination créatrice) « voit » quelque chose qui n’est pas beau (vrai, bien et bon), c’est lorsqu’il voit que l’homme est seul. Seul, c’est-à-dire séparé, coupé du Réel et de toutes les formes de réalité que prend le Réel dans sa manifestation. Et c’est là qu’il va lui imaginer une « aide en face » (ezer kenegdo), quelqu’un qui va stimuler en lui la relation… la relation qui est l’image et la ressemblance de YHWH/Dieu, car Il est lui-même relation, interrelation à l’origine de tout ce qui vit et respire. Et dans cet achèvement, le livre de la Genèse précise : « Il vit que cela était très beau » (kai idou kala lian)2.

Si la grâce est l’essence de toute beauté, la capacité d’entrer en relation, c’est-à-dire de participer à l’Être/Amour (ho on/hê Agapè), se révèle être l’essence de la grâce. Cela est « très » beau, beauté de la beauté, grâce sur grâce dira l’Évangile de Jean, transfiguration de la « vanité des vanités » du Qohelet, en « occasion des occasions » (kairos) du livre de l’Apocalypse.

À chaque instant, l’amour de la beauté (l’éros) nous sort ou nous sauve de la vanité et du néant.

Sans cette philocalie (amour de la beauté) le monde nous apparaît « objectivement » gris et sans saveur. Le vin des noces est épuisé, nous ne sommes plus en genèse, nous sommes en voie de séparation et de disparition. Or la philocalie nous rappelle qu’une nouvelle naissance est possible, une nouvelle conscience, un nouveau regard : ki tov !, voir, malgré tout, que tout est beau.

Ce regard « poïétique » ou philocalique que pose la Conscience créatrice sur tout ce à quoi Elle donne d’exister et d’être perçu, nous le retrouvons dans le livre de la Sagesse, avant de le retrouver dans le regard du poètes, du saint et du sage par excellence qu’est Yeshoua.

Jean-Yves Leloup dans Philocalie des pères du désert – Initiation à la sobriété de l’âme

Une pièce musicale de Philip Wesley – Unbridled Spirit