L’arbre monde

Nous savons si peu de choses sur la façon dont les arbres poussent. Presque rien sur la façon dont ils fleurissent, fourchent, se renouvellent et guérissent tout seuls. Nous en avons appris un peu sur quelques-uns, pris isolément. Mais rien n’est moins isolé, plus sociable qu’un arbre.

*

C’est incroyable comme les choses paraissent folles dès qu’on se met à les regarder.

*

Les champignons puisent dans la pierre des minéraux pour leurs arbres. Ils chassent les podures, qu’ils servent à leurs hôtes. Les arbres de leur côté, stockent un supplément de sucre dans les synapses de leurs champignons, à administrer aux malades, aux ombragés, aux blessés. Une forêt prend soin d’elle-même, tout en construisant le microclimat dont elle a besoin pour survivre.

Avant de mourir, un sapin de Douglas vieux de cinq cents ans renvoie son stock de composés chimiques dans ses racines et, via ses partenaires fongiques, lègue en testament sa fortune au pot commun. Nous pourrions appeler ces vénérables bienfaiteurs des arbres donateurs…

*

Mais l’espoir et la vérité importent peu aux humains sans l’utilité. Dans son barbouillage de mots gauche et godiche, elle cherche l’utilité du Vieux Tjikko, sur sa crête aride, qui sans fin meurt et ressuscite à chaque changement de climat. Son utilité, c’est de montrer que le monde n’est pas fait pour notre usage. En quoi sommes-nous utiles aux arbres ? Elle se remémore les paroles du Bouddha : Un arbre est une créature miraculeuse qui abrite, nourrit et protège tous les êtres vivants. Il offre même de l’ombre aux bourreaux qui l’abattent.

*

Des messages sourds émanent de l’écorce contre laquelle elle s’appuie.

*

Les signaux disent : Une bonne réponse mérite d’être inventée de zéro, encore et encore.

Ils disent : L’air est un mélange que nous devons continuer à produire.

Ils disent : Il y a autant sous terre qu’au-dessus.

Ils lui enseignent : N’espère ni ne désespère ni ne prédis ni ne te laisse surprendre. Ne capitule jamais, mais divise, multiplie, transforme, unis, agis et endure comme tu l’as fait tout au long du long jour de la vie.

Il est des graines qui ont besoin du feu. Des graines qui ont besoin du gel. Des graines qui doivent être avalées, gravées à l’acide digestif, expulsées comme déchets. Des graines qui doivent être écrasées pour s’ouvrir et germer. Un être peut voyager partout, à force même d’être immobile.

Richard Powers (1957) est écrivain américain. Richard Powers explore ici le drame écologique et notre égarement dans le monde virtuel. Son écriture généreuse nous rappelle que, hors la nature, notre culture n’est que  » ruine de l’âme

Richard Powers dans L’arbre monde

Une pièce musicale L’arbre des songes: I. Librement – Interlude