Une nuit

Les galaxies, ensembles de centaines de milliards d’étoiles liées par la gravité, ne sont pas distribuées au hasard dans l’espace. Elles aiment à s’assembler. Cet instinct grégaire est dû à la force de gravité qui attire les galaxies les unes vers les autres. Une fantastique hiérarchie de structures se révèle dans l’architecture cosmique. Si les galaxies sont comme des maisons d’une centaine de milliers d’années-lumière qui abritent les étoiles, les groupes de galaxies, rassemblements de quelques dizaines de galaxies, sont les villages de l’univers. Ainsi notre Voie lactée fait-elle partie du Groupe local qui comprend, outre notre galaxie, celle d’Andromède et une trentaine d’autres galaxies naines, plus petites et moins massives. Le Groupe local s’étend sur une dizaine de millions d’années-lumière. Mais il existe de plus grandes agglomérations. Les amas de galaxies qui rassemblent quelques milliers de galaxies s’étendent sur 60 millions d’années-lumière. Ce sont les villes de province de l’univers. Et l’architecture cosmique se poursuit. Les amas de galaxies s’assemblent eux-mêmes à cinq ou six pour former des superamas de galaxies contenant près d’une dizaine de milliers de galaxies et s’étendant sur 200 millions d’années-lumière. Notre Groupe local fait aussi partie du Superamas local qui rassemble en son sein une dizaine d’autres groupes et amas. Les superamas de galaxies s’agglomèrent à leur tour en d’immenses structures en forme de crêpes, de filaments et de murs de galaxies qui s’étendent à perte de vue sur des centaines de millions d’années-lumière, délimitant d’énormes vides dans le cosmos où l’on pourrait parcourir des centaines de millions d’années-lumière sans rencontrer galaxie qui vive. Les galaxies tracent dans le noir de la nuit une immense toile cosmique lumineuse devant nos yeux étonnés. Les superamas en structure de crêpes, de filaments et de murs, en constituerait la texture, les amas les plus denses, les « nœuds », et les grands vides, les « mailles ».

Face à cette immense toile cosmique, les vicissitudes du quotidien qui prennent parfois une importance démesurée dans nos vies apparaissent bien petites et mesquines. Cette architecture subtile du ciel invite à prendre de la hauteur.

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Alors que le télescope continue de collecter la lumière de la galaxie bleue compacte, je réfléchis sur l’extraordinaire concours de circonstances qui a permis que je sois ici, au sommet d’un volcan en sommeil, à contempler l’univers. C’est un miracle que l’homme soit apparu dans cet univers si vaste et que, malgré l’insignifiance de sa place dans le cosmos, il soit assez intelligent pour comprendre l’univers, apprécier sa beauté et son harmonie, et assez doué pour reconstituer la merveilleuse fresque cosmique de quelques14 milliards d’années qui a mené du vide primordial jusqu’à lui. C’est un miracle que l’homme habite la planète Terre, la troisième à partir du soleil. Ce n’est pas le fait du hasard : notre planète est la seule dans le système solaire qui soit habitable car, au contraire des autres planètes, elle n’est ni trop brûlante ni trop glacée. La vie est fragile et délicate, elle requiert à la fois douceur et tiédeur.

Trinh Xuan Thuan (1948) est un astrophysicien et écrivain vietnamo-américain. Une nuit dans l’océan Pacifique, l’infini à portée de main. Du crépuscule à l’aube, l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan explore le cosmos et l’interroge. Depuis l’observatoire de Mauna Kea, à 4 000 mètres d’altitude, il scrute le lointain, analyse les galaxies, remonte les milliards d’années pour trouver l’origine de l’univers, sonde l’énigme de la matière noire.

La langue est personnelle, le récit captivant. Regarder et comprendre mais aussi s’émerveiller, dire la beauté du monde. Et rappeler, avec les poètes et les artistes, que la nuit est aussi le temps des peurs, du rêve, de l’amour.

Trinh Xuan Thuan dans Une nuit

Une pièce musicale de André Gagnon – Tout le ciel reluit