Du bon usage des crises

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Nous connaissons dans notre occident deux voies quand nous sommes dans un état d’étouffement, d’étranglement : l’une, c’est le défoulement, c’est crier, c’est exprimer ce qui était alors rentré.

Il y a de nombreuses thérapies sur ce modèle et c’est probablement quelque chose de très précieux pour faire déborder le trop-plein.

Mais, au fond, toute l’industrie cinématographique est fondée sur ce défoulement, cette espèce d’éclatement de toute l’horreur, de tout le désespoir rentré, qui, en fait, le prolonge et le multiplie à l’infini.

L’autre réponse, c’est le refoulement : avaler des couleuvres, et devenir lentement ce nid de serpents que nous sommes si souvent, ces nids de serpents sur deux pattes.

Et le troisième modèle qui nous vient de l’Orient et qu’incarnait Dürckheim : s’asseoir au milieu du désastre, et devenir témoin, réveiller en soi cet allié qui n’est autre que le noyau divin en nous.

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L’insignifiance et la futilité qui règnent en maîtres barrent l’accès au réel et à la profondeur: Aussi ai-je gagné la certitude que les catastrophes ne sont là que pour nous éviter le pire.

Et y a-t-il pire que d’avoir traversé la vie sans houle et sans naufrage, d’être resté à la surface des choses, d’avoir dansé toute une vie au bal des ombres ?

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J’ose prétendre que si en cet instant, en de multiples endroits du monde, des femmes ne s’élançaient pas vers leurs aimés, des enfants dans les bras d’une mère, d’un père, des amis l’un vers l’autre, des chevreuils vers la source, si cet élan n’était pas à chaque instant tissé de neuf qui jette l’océan à la rencontre de la terre, alors le monde cesserait aussitôt d’exister.

Car cet élan est le nerf de la création.

Christiane Singer dans Du bon usage des crises

Une pièce musicale de Alexandra Stréliski – The Quiet Voice

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