L’immensité des forces

nietzsche-munch

Ce monde : une immensité de forces, sans commencement ni fin, une grandeur fixe de forces, solide comme l’airain, qui n’augmente ni ne diminue, qui ne s’épuise pas mais se ment, dont la totalité est une grandeur invariable, un budget sans dépenses ni recettes, mais également sans surcroît ni expansion, un monde cerné par le « néant » qui en est la limite, nullement flottant, qui ne gaspille pas ses forces, rien d’indéfiniment étendu, une force déterminée occupant une étendue finie, et non un espace où régnerait le « vide », mieux, une force partout présente, un jeu de forces et une vague d’énergie, aussi bien une que « Multiple », se décomposant ici quand elle se concentre là, un océan déchaîné, un déluge de forces changeant éternellement, répétant éternellement sa course, avec des années titanesques de retour, avec le flux et le reflux de ses formes, s’efforçant de passer de l’état le plus élémentaire au plus multiple, du plus immobile, figé, glacial, au plus brûlant, au plus sauvage, à celui qui se contredit le plus et donc, qui, de la profusion, retourne à l’élémentaire du jeu de la contradiction a désir d’harmonie, s’affirmant encore lui-même dans cette identité entre ses trajectoires circulaires et ses révolutions, se consacrant lui-même comme ce qui doit revenir éternellement, en tant que devenir qui ne connaît ni répétition, ni dégoût, ni fatigue – : ce monde dionysiaque qui est le mien, de l’éternelle création de soi-même par soi-même, de l’éternelle destruction de soi-même par soi-même, ce monde mystérieux des voluptés à double tranchant, voilà mon par-delà le bien et le mal, sans finalité, à moins que le bonheur d’avoir accompli ce cycle soit un but, sans vouloir, à moins qu’un cercle n’ait le bon vouloir de tourner éternellement sur lui-même, – vous voulez un nom pour ce monde ? une solution à toutes ses énigmes ? une lumière qui vous guiderait vous aussi les plus secrets, les plus puissants, les plus intrépides de tous les esprits ? — ce monde est la volonté de puissance — et rien d’autre que cela ! Vous êtes vous-mêmes cette volonté de puissance — et rien d’autre que cela !

Friedrich Nietzsche dans Fragments posthumes sur l’éternel retour

Une pièce musicale d’Harry Manx – Sittin On Top Of the World

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