Éloge de la sainte paresse

L’histoire m’a été racontée par mon ami Yvan Amar il y a longtemps. Elle met en scène Mullah Nasruddin. Ce personnage merveilleux incarne à la fois la sagesse populaire et la sagesse soufie en Asie centrale. De nombreuses histoires lui sont attribuées, certaines fantaisistes, d’autres d’une grande profondeur. Yvan, Idris Shah et Chandra Swami furent les premiers à introduire ces histoires en Occident. Elles sont toujours pleines d’enseignements.

Un jour, le Mollah se reposait au pied d’un arbre dans les montagnes de l’Asie centrale, les yeux mi-clos. Il gardait quelques brebis. Un homme de la ville, de passage dans la région, le vit et vint vers lui. Il le contempla un moment. Il semblait surpris de voir cet homme dans la « force de l’âge » ne rien faire et après les formules de politesse d’usage, il lui dit :

— Pourquoi passez vous votre journée à vous reposer ? Au lieu de cela, vous pourriez traire les brebis que vous gardez et faire du fromage.

Après un long silence, le Mollah lui répondit :

— Et pourquoi ferais-je cela ?

— Eh bien, avec la vente des fromages, vous pourriez vous acheter d’autres brebis.

— Et alors ?

— Alors, alors, vous pourriez vendre encore plus de fromage, acheter encore plus de brebis…

— Et alors ?

— Alors vous pourriez employer plusieurs personnes pour faire ce travail…

— Et alors ?

— Alors… alors vous pourriez vous reposer !

Nasruddin le regarda d’un air amusé :

— Ah oui ? Et qu’est-ce que je fais en ce moment ?

Dans cette histoire sont confrontées deux mentalités opposées : l’une qui veut agir, transformer le monde, à la recherche d’un mieux, d’un progrès, qui se trouve toujours dans le futur, ou du moins dans une transformation de la réalité. Et une autre qui se contente de vivre le monde tel qu’il est. Pourquoi le futur serait-il mieux que le présent ? Pourquoi l’instant ne se suffirait-il pas à lui-même ? Globalement, les anciens Orientaux préféraient vivre le moment présent plutôt que de spéculer sur l’avenir. Ils avaient trouvé une certaine sagesse qui choquait beaucoup les Occidentaux au début de la colonisation. Ces derniers les considéraient comme des « paresseux », alors qu’en réalité ils étaient adeptes de la « Sainte Paresse »… Mais bien évidemment, ces coloniaux hyperactifs ne comprenaient pas bien la différence. Pour eux, un homme qui rêvassait sans rien faire comme le faisait Mullah Nasruddin était tout simplement un « paresseux » et, c’est bien connu, la paresse est mère de tous les vices…

Erik Sablé dans Éloge de la sainte paresse

Une pièce musicale de Don’t Worry Be Happy (Bobby McFerrin) | Playing For Change | Song Around The World

Les paroles en français sur https://www.lacoccinelle.net/256394-bobby-mcferrin-don-t-worry-be-happy.html

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