Don Quichotte

Combien tu nous tais défaut, pasteur Quichottiz, pour attaquer de tes concepts dictés par l’amour, à grands coups de lance de lumière magnanime, ces mensonges empestés, pour délivrer les pauvres galériens de l’esprit, même s’ils doivent te lapider ; car ils te lapideront, sois-en sûr, si tu brises les chaînes de la couardise qui les retient prisonniers, ils te lapideront.

Ils te lapideront. Les galériens de l’esprit lapident ceux qui brisent les chaînes qui les garottent. Et c’est précisément pour cela, parce que tu seras lapidé, qu’il faut les délivrer. Le premier usage qu’ils feront de leur liberté, c’est de lapider le libérateur.

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La plupart de ceux qui lisent ton histoire, fou sublime, n’y trouvent qu’à rire; ils ne pourront profiter de sa moelle spirituelle tant qu’ils ne la pleureront pas. Malheureux celui à qui ton histoire, ingénieux hidalgo, n’arrache pas des larmes, des larmes du cœur, non seulement des yeux!

En une œuvre de moquerie se condensa le fruit de notre héroïsme; en une œuvre de moquerie s’éternisa la passagère grandeur de notre Espagne; en une œuvre de moquerie se résume notre philosophie espagnole, la seule vraie et profondément telle; avec une œuvre de moquerie arriva l’âme de notre peuple, incarnée en un homme, aux abîmes du mystère de la vie. Et cette œuvre de moquerie est la plus triste histoire qui ait été écrite jamais; la plus triste, oui, mais la plus consolante aussi pour tous ceux qui savent goûter dans les larmes du rire la rédemption de la misérable sagesse à laquelle nous condamne l’esclavage de la vie présente.

Miguel de Unamuno dans La vie de Don Quichotte et de Sancho Pança

Une pièce musicale de Strauss: Don Quixote / Rostropovich · Karajan · Berliner Philharmoniker

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