La présence pure

Un jour d’été, à Grasse, je marchais dans les rues sous un soleil dément. Je suis passé devant une fenêtre basse, presque au niveau du trottoir. Sans ralentir mon pas, j’ai regardé à l’intérieur. Il y avait de l’ombre et un couple en train de s’embrasser. Cette vision a durée deux secondes. Elle m’a rafraîchi pour la semaine. C’est la même image que je surprends chez Mozart : deux notes qui s’embrassent dans la pénombre. J’ai pour le réel une amitié furtive. Je ne vois bien qu’à la dérobée. Qu’il y ait, en cet instant précis où j’écris, deux personnes qui s’aiment dans une chambre, deux notes qui bavardent en riant, c’est assez pour me rendre la terre habitable.

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Le mot amour, il faudrait un événement considérable pour qu’il vienne une seule fois à nos lèvres – et cela ne présagerait rien de bon.

Des savants ont écrit que, moins un mot était prononcé, plus il se faisait entendre, car, assuraient-ils, ce qui ne peut danser au bord des lèvres s’en va hurler au fond de l’âme.

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L’arbre s’entretient avec le vent des choses éternelles et ses jeunes feuilles en frémissent de plaisir.

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Quelques gouttes de pluie bavardent en riant à l’extrémité de ses branches, avant de sauter dans le vide.

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La vérité est ce qui brûle. La vérité est moins dans la parole que dans les yeux, les mains et le silence. La vérité, ce sont des yeux et des mains qui brûlent en silence.

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Il est impossible de protéger du malheur ceux qu’on aime : j’aurai mis longtemps pour apprendre une chose aussi simple. Apprendre est toujours amer, toujours à nos dépens. Je ne regrette pas cette amertume.

Christian Bobin dans La présence pure et autres textes

Une pièce musicale de Boubacar Traoré – Hona

Les paroles sur https://www.musixmatch.com/fr/paroles/Boubacar-Traor%C3%A9/Hona

Une réflexion sur “La présence pure

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