Réalité

La leçon facile vient du sage, un homme qui vit dans la paix et la maîtrise absolue de soi, qualités qui émanent de lui (il n’est pas particulièrement beau mais tellement bon et candide), ce qui fait l’effet d’un baume. La leçon plus subtile, que je n’ai pas encore apprise, est la suivante : cet homme unique, dont la vie a été intense depuis l’enfance, a réussi à l’aide d’un sixième sens à explorer la voie difficile qui mène à la racine de la conscience; il existe là une énergie qui est éternelle, qui n’a rien à voir avec le corps et qui est régie par les lois – cachées pour nous – qui gouvernent l’univers. Dans notre ignorance, nous appelons certaines choses « mauvaises » parce que nous ne pouvons pas comprendre que le bon peut surgir du mal, et que tout est le résultat de causes préalables. Ce n’est que par la soumission, le détachement, par l’effort de connaître le vrai soi – cette part de la conscience profonde et éternelle qui est en chacun de nous – que nous trouverons le bonheur permanent que nous poursuivons, aidant par là-même l’humanité à s’élever au-dessus de notre état semi-animal.

Des familles entières viennent se prosterner devant lui, s’allongeant trois fois, d’abord avec leurs bras étendus vers l’avant, ensuite ramenés le long du corps, tandis qu’une joue puis l’autre touchent le sol qu’ils embrasent enfin. Les jeunes enfants qui essaient de faire cela sont charmants et reçoivent le même sourire lumineux que les singes qui viennent mendier, ou la vache qui, chaque fois qu’on omet de l’attacher, vient voir le sage. On lui pose peu de questions parce que peu de questions se posent : dès que l’on se trouve près de lui, on se rend compte que la plupart des questions ne sont que des mots et ne font pas partie des choses vraiment vitales. Sa présence agit dans un sens positif qui nous fait sentir : La réponse est en moi et pour qu’elle soit de quelque profit, je dois la trouver moi-même.

*

Ella Maillart (1903-1997) a été l’une des voyageuses les plus audacieuses de la première moitié du XXe siècle. Nous publions aujourd’hui une partie importante de la correspondance tenue avec sa mère à l’époque de ses pérégrinations. Écrites sur le vif, ces lettres saisissent au vol les humeurs du moment et les impressions du lieu, annoncent les projets d’itinéraires, esquissent des réflexions sur l’Orient et l’Europe.

Accompagnées de nombreuses photos prises pendant ses expéditions, elles sont un témoignage irremplaçable des élans d’Ella Maillart vers l’ailleurs, de ses voyages au jour le jour, de son cheminement intérieur.

Ella Maillart dans Cette réalité que j’ai pourchassée

Une pièce musicale de Kenny Barron – Voyage

Laisser un commentaire