
Hier encore je me tenais à la porte du temple interrogeant les passants sur les mystères et les bienfaits de l’amour.
Et un homme passa, entre deux âges, décharné et renfrogné, qui me dit :
« L’amour est une faiblesse innée dont nous avons hérité du premier homme. »
Puis un jeune homme, robuste et vigoureux, arriva en chantant :
« L’amour est une résolution qui accompagne notre être, et unit le présent aux temps passés et à venir. »
Alors une femme au visage triste qui passait, soupira :
« L’amour est le venin mortel que des vipères sombres et effrayantes diffusent dans l’espace depuis les abîmes de l’enfer, afin qu’il descende en gouttes de rosée sur l’âme assoiffée, et l’âme s’en enivre un instant, avant de dégriser pendant un an et de rester morte pour l’éternité. »
Mais une jeune fille, au teint vermeil et les lèvres rieuses dit :
« Écoute, l’amour est un nectar que les fiancées de l’aube versent sur les forts afin qu’ils s’élèvent dans la gloire devant les étoiles de la nuit, et joyeux à la face de l’astre du jour ».
Sur quoi arriva un homme en habits noirs, arborant une longue barbe qui tombait sur sa poitrine, et il déclara sévèrement :
« L’amour est une stupidité qui vient avec l’aube de la jeunesse et s’en repart avec son crépuscule ».
Et un autre le suivit le visage radieux et serein, qui dit avec une joie tranquille :
« L’amour est une sagesse céleste qui éclaire notre œil intérieur et notre regard extérieur afin que nous puissions apercevoir toutes choses comme les dieux. »
Puis passa un aveugle sondant le sol de son vieux bâton, et sa voix geignait quand il dit :
« L’amour est un brouillard dense qui recouvre l’âme et lui voile les spectacles de la vie, afin que l’âme ne voie rien que les ombres de ses désirs perdues parmi les rochers escarpés, et n’entende rien que l’écho de sa voix criant depuis les vallées de la désolation. »
Alors passa un jeune homme qui jouait de la lyre et chantait :
« L’amour est une lumière céleste qui brille depuis les tréfonds de l’être sensible pour tout illuminer autour de lui, afin qu’il puisse apercevoir le monde comme un cortège en marche par les vertes prairies, et la vie comme un rêve de beauté entre deux veilles. »
Et après le jeune homme suivait un autre décrépi, et le traînant, tremblant, il dit :
« L’amour est le repos du corps triste dans la tombe silencieuse, et c’est la sécurité de l’âme dans les places fortes de l’éternité. »
Puis vint un petit enfant qui avait à peine cinq ans ; il courut et cria :
« L’amour c’est mon père, et l’amour c’est ma mère, et nul autre ne connaît l’amour que mon père et ma mère. »
Ces Chants de l’âme et du cœur de Khalil Gibran s’inscrivent dans la grande tradition lyrique arabe. Le mysticisme de ses récits en prose trouve ici une expression plus onirique, nourrie par une liberté poétique qui entremêle des influences occidentales et orientales. Car si ces » chants » semblent imprégnés d’une ancienne sagesse, ils n’en demeurent pas moins, comme la plupart des textes de Gibran, d’une saisissante modernité. Comme la musique de Beethoven, ils jaillissent du cœur pour pénétrer dans le cœur, et s’apparentent au Mariage du ciel et de l’enfer de William Blake. Car l’art de Gibran réside en sa capacité à transmettre des vérités éternelles d’une façon telle que le lecteur a le sentiment de se promener en une forêt familière. Il sait apaiser l’esprit en l’embrasant.
Khalil Gibran dans Chants de l’âme et du cœur
Une pièce musicale de Hiba Tawaji – La Bidayi Wla Nihayi – Les Moulins De Mon Coeur (Live) / هبة طوجي – لا بداية ولا نهاية
Les paroles à la suite du texte sous la vidéo

Bonne fin de journée
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