
La réalité nous a été donnée par compassion. C’est la part sclérosée du Réel – celle qui est figée, qui n’évolue plus mais à partir de laquelle nous pouvons nous orienter : cette pierre, cette table, je les retrouverai demain à la même place.
Le Réel est le nom que je donne à la réalité agrandie puisque ce mot que traduit en allemand ‘Wirklichkeit’, par opposition à ‘Realität’, manque en français. Le Réel est donc cette part fluide de la réalité, ce permanent devenir, cette permanente métamorphose composée des potentiels en attente, des projets, des visions : l’esprit agissant.
Si la réalité seule (Realität) est prise en compte, l’esprit s’atrophie. Notre « institution » idéologique moderne – socialement et économiquement programmée – commet une exaction : celle de surestimer la réalité au dépend du Réel, d’emputer l’homme de sa puissance imaginale et de la fertilité de son esprit et de l’ensevelir sous le poids d’un trop de matière.
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Mon irritation est grande à voir des jeunes gens confondre la réalité socio-économique avec… la Vie, l’immense Vie, et projeter leur situation du moment sur l’avenir, cette plage infinie ou aucune trace de pas n’a jamais été repérée.
Le conformisme pousse à désirer des choses qui ne sont pas le moins du monde désirables, à se laisser étriper, dévaliser pour la possession de biens qui se délitent dès que nous les possédons. Le conformisme nous pousse à faire la sourde oreille aux vraies aspirations de justice, de justesse, d’audace, de solidarité et d’inventivité ; il mène à une torpeur mortelle.
La transmission, elle, consiste dans la révélation de la force de l’esprit : l’homme est en mesure de penser ce qui n’est pas.
Le prodigieux réservoir du passé livre une inspiration inépuisable et engendre une combinatoire sans fin. Un esprit vivant a la vocation de changer instantanément l’éclairage de sa vie. Non pas changer les choses elles-mêmes (bien que parfois cela advienne) – mais changer sa façon de les voir, de les éclairer.
Ont existé déjà tant d’êtres, de civilisations, d’expériences humaines, de communautés, d’aventures solitaires ou solidaires. L’important n’est pas qu’elles aient réussi ou échoué mais qu’elles aient été tentées !
Crasses sont les ignorances qui nous font proférer : l’homme a toujours été… n’a jamais été…
Quiconque n’a pas l’ivresse d’aller naviguer dans les cultures multiples, la profusion des témoignages et de leurs traces ne devra pas se plaindre quand passera le diable du dernier acte de ‘Peer Gynt’, une marmite à la main : il vient récupérer les âmes qui n’ont pas servi, qui n’ont pas su réinventer la vie ni l’honorer : les poltrons, les conformistes. Elles seront fondues comme les boutons de cuivre et des culottes militaires.
Christiane Singer (1943-2007) était une femme de lettres française. Qu’il s’agisse de romans ou d’essais, toute son œuvre est baignée de spiritualité. Elle fut disciple de Karlfried Graf Dürckheim. Femme de la rencontre, elle était très régulièrement invitée à donner des conférences dans les contextes les plus variés. Thérapeute, elle conduisait également des séminaires dans la propriété du château médiéval de Rastenberg en Autriche où elle vivait avec mari et enfants. Christiane Singer, nourrissant son récit de souvenirs, d’anecdotes, de contes et de récits mystiques, atteint, avec une grâce infinie, l’intime et l’universel, dans ce livre de sagesse dont on ressort apaisé et radieux.
Christiane Singer dans N’oublie pas les chevaux écumants du passé
Une pièce musicale de Michel Pépé – Le chemin de l’amour
