Le labyrinthe de la solitude

En voyage en ce moment au Mexique, je fais des publications afin de vous faire connaître différentes facettes de ce beau pays.

L’amour est une tentative de pénétrer dans un autre être, mais qui ne peut se réaliser qu’à condition que l’abandon soit réciproque. Cet abandon de soi-même est toujours difficile ; rares sont ceux qui parviennent à coïncider dans l’abandon et, plus rare encore, ceux-là qui savent dépasser cet état possessif et jouir de l’amour en ce qu’il est réellement : une découverte ininterrompue, une immersion dans les eaux de la réalité et une recréation constante. Nous concevons l’amour comme une conquête et comme une lutte.

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Ce système américain ne veut considérer que la partie positive de la réalité. Dès l’enfance, les hommes et les femmes sont soumis à un inexorable processus d’adaptation ; certains principes, enfermés dans des formules brèves, sont repris sans trêve par la presse, la radio, les églises, les écoles et ces êtres débonnaires et sinistres que sont les mères et les épouses américaines. Prisonniers dans ces schémas, comme la plante dans son pot qui l’étouffe, l’homme et la femme ne sauraient se développer et mûrir. De semblables conditions doivent fatalement provoquer les révoltes individuelles les plus violentes. La spontanéité se venge de mille façons, subtiles ou terribles. Le masque bienveillant et poli, désert aussi, qu’on substitue à la mobilité dramatique du visage humain, et le sourire qui le fige presque douloureusement, montrent jusqu’à quel point l’intimité peut être dévastée par l’aride victoire des principes sur les instincts. Le sadisme sous-jacent, qu’on trouve dans presque toutes les formes de relations de la société américaine, n’est peut-être finalement qu’une manière d’échapper à la pétrification qu’impose la morale de la pureté ascétique. De même, les religions nouvelles, les sectes, ou l’ivresse qui libère et ouvre les portes de « la vie ». On est surpris par la signification presque physiologique et destructive de ce mot. Vivre veut dire : se dépasser, rompre les normes, aller jusqu’au bout (de quoi ?), « trouver de nouvelles sensations ». Faire l’amour est une « expérience » (et par là même, unilatérale et frustrée).

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Pour l’habitant de Paris, New York ou Londres, la mort est ce mot qu’on ne prononce jamais parce qu’il brûle les lèvres. Le Mexicain, en revanche, la fréquente, la raille, la brave, dort avec, la fête, c’est un de ses amusements favoris, et son amour le plus fidèle. Certes, dans cette attitude, il y a peut-être autant de crainte que dans l’attitude des autres hommes : mais au moins, le Mexicain ne se cache pas d’elle, ni ne la cache ; il la contemple face à face avec impatience, dédain ou ironie : « S’ils doivent me tuer demain, qu’ils y aillent pour de bon. »

Octavio Paz (1914-1998) est un poète et essayiste mexicain, également diplomate. Il fut animé toute sa vie durant par la double flamme de la passion et de la critique.

Octavio Paz dans Le labyrinthe de la solitude

Une pièce musicale de Rodrigo y Gabriela – Diablo Rojo

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