Euh…Comment parler de la mort aux enfants

Ce miracle pourrait s’illustrer visuellement d’un simple geste, familier et quotidien : tendez la main, regardez vos doigts, écartez-les un instant.

Imaginez-vous que dans le ventre de votre mère, avant votre naissance, vous n’aviez pas ces dix doigts. Il a fallu traverser un sacré chemin pour qu’ils apparaissent au bout des paumes de vos mains. Car au commencement, chacun d’entre nous avait deux palmes, presque comme les canards.

Et voilà qu’en se développant, l’embryon que nous fûmes un jour a vu son corps changer. Lentement, la mort y a fait son œuvre, précisément entre vos doigts. Regardez un instant tout cet espace entre le pouce et l’index, et imaginez-vous tout ce qui a dû mourir pour qu’apparaissent séparément l’un et l’autre. La vie telle que nous la connaissons est la force qui a su composer avec la mort.

La vie dépend toujours de l’œuvre de la mort en elle.

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La vie n’est pas ce qui s’oppose à la mort, mais c’est ce qui inclut la mort en elle, et ce qui compose avec elle.

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Pendant longtemps, j’ai été fascinée par l’expression qui inaugure presque toujours les contes, sorte de formule magique si connue qu’elle existe dans toutes les langues ou presque : »IL ÉTAIT UNE FOIS « .

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En français, l’expression est si convenue qu’on a fini par ne plus l’interroger du tout, ne plus même écouter la bizarrerie grammaticale qui s’y trouve. La construction de la phrase « Il était une fois » n’a aucun sens. L’entendez-vous ? On devrait évidemment dire « Il fut une fois » ou « Il arriva une fois ». Le passé simple est le temps de la narration inédite, celui qui sert à décrire le surgissement d’un événement inattendu. Dans telle ou telle histoire, le dragon attaqua le palais, le prince lutta vaillamment, et il embrassa la princesse dans son sommeil… Mais dans «il était une fois », le verbe conjugué à l’imparfait semble raconter autre chose. L’imparfait est en principe le temps de l’habitude, la routine ou la répétition. On dit par exemple à l’imparfait : « Quand j’étais petit, je mangeais de la soupe… Chaque soir, je faisais mes devoirs ou je répétais mes leçons. « 

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Personne ne traverse un deuil de la même manière. Mais je crois que quand la mort nous visite, chacun de nous a la possibilité de penser nos histoires et nos héritages. Chacun peut alors se demander ce qu’il a reçu et ce qu’il en fera, pour pouvoir un jour regarder le chemin parcouru et se dire : « Bonne pioche ! »

Delphine Horvilleur dans Euh…Comment parler de la mort aux enfants

Une pièce musicale de Duo pianCCello – Résilience

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