Ce qu’est le vrai enseignement (7)

Tant que nous rendrons un culte à la connaissance et à la technique comme moyens de parvenir au succès ou à la domination, nous vivrons au milieu de cruelles concurrences, d’antagonismes et de luttes incessantes pour le pain quotidien. Tant que nous prendrons le succès pour but, nous ne serons pas affranchis de la peur, car le désir de réussir engendre inévitablement la crainte d’échouer. Voilà pourquoi l’on ne devrait pas enseigner aux jeunes le culte du succès. La plupart des personnes recherchent le succès sous une forme ou une autre, que ce soit sur un court de tennis, dans le monde des affaires, ou en politique. Nous voulons tous être parmi les premiers, et ce désir ne cesse d’engendrer des conflits en nous-mêmes, ainsi qu’entre nous et nos voisins. Il mène à la compétition, à l’envie, à l’animosité et finalement à la guerre. Tout comme les anciennes générations, les jeunes recherchent le succès et la sécurité. Encore qu’ils puissent commencer par éprouver un certain mécontentement, ils deviennent bientôt respectables et ont peur de dire non à la société. Les murailles de leurs propres désirs se referment graduellement sur eux et ils se mettent alors au pas et prennent en main les rênes de l’autorité. Leur mécontentement, qui était la flamme même de l’esprit de recherche et de la compréhension, s’éteint et meurt, et, à sa place, s’installe le désir d’une bonne situation, d’un riche mariage, d’une carrière brillante, bref, la soif d’une sécurité de plus en plus certaine. Il n’y a pas de différence essentielle entre les vieux et les jeunes. Les uns, comme les autres, sont esclaves de leurs désirs et de leurs jouissances. La maturité n’est pas une question d’âge: elle vient avec la compréhension. L’ardent esprit de recherche est peut-être plus accessible aux jeunes, car les vieux ont souvent été malmenés par la vie: les conflits les ont usés et la mort, sous différentes formes, les attend. Cela ne veut pas dire qu’ils soient incapables de mener à fond une recherche, mais que cela leur est plus difficile. Beaucoup d’adultes manquent de maturité, sont assez enfantins, et c’est là une des causes qui contribuent à la confusion et à la misère du monde.

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La vie est un puits aux eaux profondes, L’on peut s’y présenter avec des petits seaux et ne tirer que peu, ou avec de grands récipients et extraire des eaux abondantes qui nourriront substantiellement. C’est le temps de la jeunesse qui est celui des recherches. C’est celui où l’on veut faire l’expérience de tout. L’école devrait aider les jeunes à découvrir leurs vocations et leurs responsabilités et non pas simplement leur farcir l’esprit de faits et de connaissances techniques ; elle devrait être le bon sol dans lequel ils pourraient grandir sans peur, heureux, intégralement. Instruire un enfant, c’est l’aider à comprendre la liberté et l’intégration. Pour qu’existe la liberté, il faut de l’ordre, l’ordre que seule la vertu peut réaliser. Quant à l’intégration, elle ne peut se produire que dans l’extrême simplicité. En partant de nos innombrables complexités, nous devons grandir vers la simplicité. Nous devons devenir simples dans notre vie intérieure et dans nos besoins extérieurs. L’enseignement, de nos jours, se préoccupe de l’efficience extérieure et néglige complètement, ou pervertit délibérément, la nature intérieure de l’homme. Il ne développe qu’une parue de l’homme et laisse le reste traînailler tant bien que mal, de sorte que notre confusion intérieure, nos antagonismes profonds, nos peurs secrètes, prédominent dans le social, quelles que soient la noblesse ou l’habileté qui ont présidé à sa structure. Lorsque les bases de l’éducation sont erronées, les hommes se détruisent les uns les autres et la sécurité physique pour chaque individu est supprimée. Instruire dans le vrai sens du mot, c’est aider l’étudiant à comprendre son propre processus, dans sa totalité. Car ce n’est que l’intégration de l’esprit et du cœur dans l’action quotidienne qui suscite l’intelligence et une transformation intérieure.

Jiddu Krishnamurti dans Ce qu’est le vrai enseignement

Une pièce musicale de UT5 – Concerto pour violoncelle de Schumann

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