L’abeille (et le) philosophe

L’abeille est devenue l’emblème de la fragilité du monde. Pollution chimique, réchauffement climatique, mondialisation frénétique, agriculture intensive, etc. : sur chacun de ces grands dossiers de notre temps, elle apparaît comme l’innocente victime des méfaits de la technique humaine. Son destin témoigne du dérèglement tragique d’une nature qui serait de plus en plus dominée par un consortium diabolique. Faust, Prométhée et Frankenstein Inc., si l’on peut dire, soit : l’omniscience, la toute-puissance et la folie des grandeurs réunies en l’homme, par l’homme et pour l’homme. Face à la triple prétention de tout connaître, de tout maîtriser et de tout fabriquer, l’abeille apparaît comme l’être fragile par excellence, symbole de la vulnérabilité d’une nature soumise aux diktats de l’humain. Mais ce qui explique aussi le succès médiatique de cet insecte sur lequel on ne cesse de projeter les angoisses du présent plonge ses racines dans une longue et ancienne tradition. Car si l’on déplore aujourd’hui avec autant d’émotion – et parfois d’emphase – le déclin de l’abeille, c’est qu’elle fut longtemps considérée comme le symbole privilégié de la beauté et de l’harmonie du monde, lorsque la Nature était considérée comme infiniment plus vaste, plus puissante et plus durable que tous les mortels réunis.

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Avant Aristée, c’est une nymphe proche de Déméter la déesse de la fertilité (et du mariage) qui est réputée avoir découvert dans la forêt les premiers rayons de miel. Elle s’appelait Mélissa. Ce fut la première à oser goûter le miel et avoir l’idée de le mélanger à de l’eau pour en faire une boisson : l’hydromel.

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Qu’y a-t-il donc dans ce petit animal qui nous fascine autant ? Pourquoi vouloir chercher en lui le sens des choses, de la nature et de la vie ? C’est un usage philosophique de l’abeille qui va nous intéresser ici. Il s’agira de suivre le vol de l’abeille dans l’histoire de la pensée ; de révéler cette idée ancienne et toujours actuelle qu’en contemplant et en comprenant l’abeille nous saurons comment vivre ; comment vivre bien, comment vivre mieux, comment devenir « sage », comment échapper à la mort. Car les savants et les sages de l’histoire ont cherché tout cela dans ce petit animal : les réponses à toutes les grandes questions que l’humanité inquiète se pose depuis la nuit des temps.

Henri Tavoillot dans L’abeille (et le) philosophe : Étonnant voyage dans la ruche des sages

Une pièce musicale de Vladimir Martynov: The Beatitudes