
Dans un monastère entouré de montagnes, le jeune disciple Haru entra dans la salle de méditation, les yeux rougis. Il tenait un bol en céramique brisé en morceaux.
« Maître Kensho… » dit-il d’une voix tremblante. « C’était mon bol préféré. Je l’utilisais tous les matins pour boire du thé. Aujourd’hui, je l’ai laissé tomber et, en le voyant brisé… j’ai eu l’impression que quelque chose en moi s’était brisé aussi. »
Le vieux Kensho le regarda sans un mot. Puis il désigna le sol devant lui.
« Placez les morceaux ici. »
Haru les disposa soigneusement, comme s’il pouvait encore reconstituer le bol avec ses mains.
« Regardez bien », dit le maître. « Que voyez-vous ? »
« Je vois… ce qui était et n’est plus. Un objet que je ne pourrai jamais récupérer. »
Kensho hocha doucement la tête.
« La souffrance naît, Haru, non pas parce que quelque chose se brise, mais parce que nous nous accrochons à l’idée que cela doit rester intact. »
Le jeune homme le regarda avec une colère contenue.
« Mais Maître, il était à moi. Je le chérissais. Il avait de la valeur pour moi. »
« Et l’univers vous a-t-il promis que rien ne changerait ? » demanda Kensho calmement. « Croyiez-vous qu’un bol d’argile durerait éternellement, alors que même votre corps ne le serait plus ? »
Haru baissa les yeux.
« Je n’y avais pas pensé sous cet angle… mais ça fait toujours mal. »
Le Maître sourit.
« Bien sûr que ça fait mal. L’attachement, c’est comme serrer sa main autour de l’eau : plus on serre, plus vite elle s’échappe. »
Kensho prit un des morceaux et le plaça dans la paume de Haru.
« Dites-moi, que ressentez-vous maintenant ? »
« Que je tiens une partie inutile de ce qui fut. »
« Exactement. Et pourtant, vous vous y accrochez encore. »
Haru lâcha prise, laissant le fragment tomber au sol. Le son sec résonna dans la pièce.
« Que ressentez-vous maintenant ? » insista le Maître.
Le disciple prit une profonde inspiration. « Légèreté. Comme si un poids s’était évaporé.»
« C’est comme ça pour tout », dit Kensho. « Chaque relation, chaque objet, chaque instant de votre vie est un bol. Vous pouvez en profiter tant que vous l’avez, mais si un jour il se brise, vous devriez être reconnaissant pour le thé qu’il vous a donné, et non pleurer parce qu’il ne peut plus le contenir.»
Haru écoutait en silence, les larmes aux yeux.
« Maître… et si un jour je perdais quelque chose de plus grand qu’un bol ? Quelqu’un que j’aime ?»
Le vieil homme se pencha vers lui.
« La douleur sera plus profonde, sans aucun doute. Mais l’enseignement est le même : rien ni personne ne nous appartient. Tout vient, tout s’en va. Le véritable amour ne consiste pas à posséder, mais à honorer ce qui a été vécu et à lâcher prise quand la rivière suit son cours.»
Haru hocha la tête, même s’il avait encore du mal à l’accepter.
« Alors, que dois-je faire des restes de mon bol ?»
Kensho se leva lentement, se dirigea vers le jardin et désigna un petit arbre. « Enterrez-les ici. Laissez-les retourner à la terre. Quand vous verrez cet arbre pousser, vous vous souviendrez que rien ne se perd : il se transforme. »
Le jeune homme obéit. En recouvrant les morceaux de terre, il eut l’impression d’enterrer non seulement un objet, mais une partie de son attachement.
Le maître conclut d’une voix douce :
« La vie est comme ce bol, Haru. Fragile, belle, fugace. N’ayez pas peur lorsqu’il se brise. Apprenez à lâcher prise, et vous verrez que même dans les fissures, la lumière trouve son chemin. »
Haru ferma les yeux, respira profondément et, pour la première fois, comprit que la véritable valeur ne résidait pas dans le fait de s’accrocher, mais dans le fait de lâcher prise.
Julieta De Lac L
Une pièce musicale de Bol Chantant Tibétain Cristal
