Nagori 2

On croit parfois universels certains concepts qu’on estime essentiels à la vie, et on s’étonne d’apprendre qu’ils ne s’appliquent pas partout. C’est le cas, par exemple, des notions de « société », de « liberté » ou d’« amour », qui n’existent en japonais que depuis l’ouverture du pays au XIXe siècle, comme concepts traduits des langues européennes. Le constat étonne toujours les non-Japonais.

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Les Japonais entretiennent avec les saisons une relation particulière

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Ce n’est pas seulement l’année avec son tour des quatre saisons, qui est comparée à la durée d’une vie humaine ; chaque saison contient une vie entière, traversée par différents êtres vivants, chacun doté d’une vie propre.

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Ainsi, il existe trois termes différents pour décrire l’état de saisonnalité d’un aliment : hashiri, sakari et nagori. Ils désignent l’équivalent de « primeur », de « pleine saison », et le dernier, nagori, de l’arrière-saison, « la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter ».

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Dans la cérémonie du thé, il y a un rituel concret appelé nagori no cha, « le thé de nagori » : c’est la cérémonie organisée en automne, avec les restes du thé de l’année précédente. On boit le thé nouveau à partir de novembre. Nagori no cha est donc la fin du thé de l’année courante dans le cycle du thé, avant d’ouvrir une nouvelle année avec le thé frais.

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Dans nagori, attachement, nostalgie et temporalités se mêlent.

Nagori évoque à la fois une nostalgie de notre part, pour une chose qui nous quitte ou que nous quittons, et la notion de quelque chose qui décale légèrement la saison, comme si cette chose même (par exemple des fleurs, la neige) ne quittait qu’à regret ce monde, et la saison qui est la sienne.

Ryoko Sekiguchi (1970) est une poétesse et traductrice japonaise.

Ryoko Sekiguchi dans Nagori – La nostalgie de la saison qui s’en va   

Une pièce musicale de Sakura « Cherry Blossoms »;Traditional Music of Japan