Prier

Contre cette peur, il existe un rempart : la prière. Ceux qui la formulent, croyants ou non, juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes, animistes ou agnostiques, proclament l’urgence qu’il y a à rappeler, dans un monde qui s’est effondré, ce qu’elle est, ce qu’elle soulève, ce qu’elle propose, et que tout n’est pas vide de sens, ni sans lendemain. Chaque personne qui prie recrée un espoir, et le sauve. Et il le faut : l’espoir n’a jamais été mis si bas, et le sens des réalités – grandes et petites –, non plus. Pourquoi, sinon, la prière continuerait-elle de monter aux lèvres des hommes, quelles que soient leur religion, leur croyance en Dieu, voire parfois leur absence de toute croyance ? Dans mille circonstances – et, paradoxalement, le plus souvent dans les moments où la douleur, le malheur, un coup du sort nient la providence et interdisent l’idée d’un secours – elle surgit, spontanée, ou sous forme de vieilles formules qu’on croyait oubliées. C’est bien parce qu’elle continue de manifester l’espérance, quand bien même les deux autres vertus théologales – la foi et la charité – auraient périclité à leur corps défendant. Une espérance, dit encore Charles Péguy, « qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière » et dont il prédit qu’« elle seule, portant les autres, traversera les mondes révolus ».

Pourquoi perdure-t-elle aujourd’hui où, selon les mots d’Armel Guerne encore, « on néglige toutes les questions spirituelles pour s’occuper de choses tout à fait accessoires, extérieures, qui n’engagent pas le profond de l’existence » ? Est-ce parce que celui qui prie, comme le poète, « essaie de mettre dans un monde devenu affreusement laid, horriblement égoïste, dur, méchant un peu de tendresse, un peu de beauté, et surtout dans un monde qui est totalement voué au mensonge, possédé par la loi du mensonge, un peu de vérité. Une vérité qui dure, qui commence au ras de la terre et qui va jusqu’au ciel, et qui reste » ? Est-ce, d’après les vers de Hölderlin, parce « Là où croît le péril, Croît aussi ce qui sauve » ?

La prière, quelle qu’elle soit, renoue avec l’Ineffable ; et, ce faisant, elle revitalise ses attributs, l’amour, la justice et la paix. Elle répond au besoin que nous avons d’un dialogue, comme d’une altérité, besoin qui se déploie sur trois plans : l’Un-Tout, qu’on appelle Dieu si l’on est croyant, l’Autre en soi, et les autres.

Christiane Rancé dans Prenez-moi tout mais laissez-moi l’extase Méditation sur la prière

Une pièce musicale de Michael Ortega – LOVE