Voyages et aventures de l’esprit

L’obéissance a deux phases distinctes :

1. On obéit parce que l’on ne peut faire autrement.

2. On obéit parce que l’on croit que l’on doit obéir…

… Chacun, trouvant naturellement son opinion seule vraie, qualifie d’injustice tout ce qui s’en écarte.

… On a réclamé le droit de vote, c’est-à-dire le droit à l’obéissance. Le droit de déclarer soi-même que l’on renonce à être maître de soi pour subir la volonté de quelques individualités aux décisions de qui l’on se soumet d’avance en les élisant.

… Pour l’homme, le maître c’est l’ignorance qui ne le laisse ni comprendre ni vouloir.

… Le croyant disant “Plus tard, en paradis” ou le révolutionnaire disant “plus tard, après la révolution” me paraissent bien semblables d’esprit…, ce qu’il ne faut pas dire c’est “plus tard”.

… L’homme n’a pas à chercher son but en dehors de lui, il n’a pas à le placer en quelque chose d’extérieur, homme ou idée.

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La Nature n’offre jamais à l’attention de l’homme un phénomène unique capable de lui faire concevoir une force unique personnifiée en un dieu unique. Deux aspects, opposés en apparence, se manifestent, au contraire, continuellement à lui ; le jour-la nuit ; le plaisir-la souffrance ; le mâle-la femelle, et dans la plupart des contrées le grand phénomène des saisons : l’hiver, la mort-l’été, la résurrection, la vie. Par la puissance des aspects de la nature, une sorte de dualisme s’est assez vite imposée aux hommes. Quel que soit le nombre de leurs divinités, elles se partagent ordinairement en deux catégories : les divinités bienfaisantes et celles dont on redoute la malveillance. Si je puis ouvrir ici une parenthèse, je dirai que ces dernières attirent généralement, par la crainte qu’elles inspirent, plus d’adorateurs à leurs autels que l’amour n’en conduit à ceux des divinités clémentes. Le mal est un principe actif : l’homme ressent très vivement la souffrance, tandis que le bonheur est plutôt un état équivalent à l’absence de souffrance. Il faut un organisme extrêmement affiné pour être capable d’être heureux activement, c’est-à-dire d’être heureux autrement qu’en ne souffrant pas. Les peuples ne possédaient pas autrefois et n’ont pas encore atteint aujourd’hui à cette délicatesse de sensation

Alexandra David-Néel dans Voyages et aventures de l’esprit

Une pièce musicale de Steven Gutheinz – Connect