Je ne renie rien

Mon passe-temps favori, c’est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre son temps, perdre son temps, vivre à contretemps. Je déteste tout ce qui réduit le temps, c’est pourquoi j’aime la nuit. Le jour, c’est un monstre, ce sont des rendez-vous. Le temps de nuit, c’est une mer étale. Cela n’en finit pas. J’aime voir le lever du soleil avant d’aller dormir.

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Il est très difficile d’être paresseuse, car cela suppose d’avoir assez d’imagination pour ne rien faire, ensuite d’avoir assez de confiance en soi pour n’avoir pas mauvaise conscience de n’avoir rien fait, et enfin d’avoir assez de goût pour la vie. Afin que chaque minute qui passe semble suffisante en elle-même sans qu’on soit obligé de se dire : j’ai fait ceci ou cela.

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Je déteste les gens intolérants, sans inquiétude, ceux qui croient posséder la vérité, qui sont bruyants, satisfaits. Les gens bêtes m’ennuient. Je ne supporte pas cette forme d’assurance mêlée de médiocrité : ça m’assomme. Je n’aime ni les faux martyrs, ni les faux intellectuels, ni les vrais bavards. Le respect de l’argent, l’hypocrisie, les lieux communs, le bon sens de la bourgeoisie m’agacent ; le bon sens n’est pas remplaçable, mais j’ai horreur du bon sens affiché.

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Il y a ceux qui disent : la misère existe, mais c’est inéluctable ; pour moi, ça fait des gens de droite. Et il y a ceux qui disent : la misère existe et c’est insupportable ; ça fait des gens de gauche.

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Si tout était à recommencer, je recommencerais bien sûr, en évitant quelques broutilles : les accidents de voiture, les séjours à l’hôpital, les chagrins d’amour. Mais je ne renie rien.

Françoise Sagan dans Je ne renie rien : Entretiens 1954-1992

Une pièce musicale de Louis-Jean Cormier et Amylie – Tête première

Les paroles sur https://genius.com/Louis-jean-cormier-tete-premiere-lyrics