
Ce Hussein Aga était un saint homme. Un jour il me prend sur ses genoux et pose sa main sur ma tête comme s’il me donnait sa bénédiction : « Alexis, qu’il me dit, je vais te confier quelque chose. Tu es trop petit pour comprendre, mais tu comprendras quand tu seras plus grand. Écoute-moi, mon enfant : le bon Dieu, tu vois, ni les sept étages du ciel ni les sept étages de la terre ne peuvent le contenir. Mais le cœur de l’homme le contient. Alors, prends garde, Alexis, de ne jamais blesser le cœur de l’homme! »
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– Peut-être que je resterai avec toi, ici… fis-je, effrayé par la tendresse farouche de Zorba. Peut-être aussi que je reviendrai avec toi. Je suis libre!
Zorba secoua la tête:
– Non, tu n’es pas libre, dit-il. La corde avec laquelle tu es attaché, est un peu plus longue que celle des autres. C’est tout. Toi, patron, tu as une longue ficelle, tu vas, tu viens, tu crois que tu es libre, mais la ficelle tu ne la coupes pas. Et quand on ne coupe pas la ficelle…
– Je la couperai un jour! dis-je avec défi, car les paroles de Zorba avaient touché en moi une plaie ouverte et j’avais eu mal.
– C’est difficile patron, très difficile. Pour ça, il faut un brin de folie; de folie, tu entends? Risquer tout! Mais toi, tu as un cerveau solide et il viendra à bout de toi. Le cerveau est un épicier, il tient des registres, j’ai payé tant, j’ai encaissé tant, voilà mes bénéfices, voilà mes pertes! C’est un prudent petit boutiquier; il ne met pas tout en jeu, il garde toujours des réserves. Il ne casse pas la ficelle, non! il la tient solidement dans sa main, la fripouille. Si elle lui échappe, il est foutu, foutu le pauvre! Mais si tu ne casses pas la ficelle, dis-moi, quelle saveur peut avoir la vie? Un goût de camomille, de fade camomille! Ce n’est pas du rhum qui te fait voir le monde à l’envers!
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Le bon maître ne veut pas de récompense plus éclatante que celle-là : former un élève qui le dépasse.
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Possible que nous ne les sauvions pas, mais nous nous sauverons nous-mêmes en nous efforçant de sauver les autres… La seule façon de te sauver toi-même, c’est de lutter pour sauver les autres.
Sur la tombe de Nikos Kazantzakis est inscrite l’épitaphe:) Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre
Nikos Kazantzakis dans Alexis Zorba
Une pièce musicale Zorba the Greek – The Final Dance
