Knulp

Une jeune fille, si belle soit-elle, on la trouverait peut-être moins belle si l’on ne savait que sa beauté est éphémère, qu’elle vieillira et mourra. Si la beauté demeurait éternellement, je m’en réjouirais, certes, mais je la contemplerais plus froidement et je penserais: tu la verras toujours, elle n’est pas liée à l’instant. Par contre, ce qui est passager, ce qui se transforme, je le contemple non seulement avec joie mais avec compassion.

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C’est juste Knulp. Une chose est belle quand on la regarde au bon moment.

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On peut se permettre d’observer les hommes, de rire de leur sottise ou d’en avoir pitié, mais il faut les laisser libres de suivre leur chemin.

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Knulp dit que nul ne peut mêler son âme à l’âme d’un autre. Deux êtres peuvent aller l’un vers l’autre, parler ensemble mais leurs âmes sont comme des fleurs enracinées, chacune à sa place; nulle ne peut rejoindre l’autre, à moins de rompre des racines; mais cela précisément est impossible.

Faute de pouvoir se rejoindre, elles délèguent leur parfum et leurs graines; mais la fleur ne peut choisir l’endroit où tombera la graine; c’est là l’œuvre du vent et le vent va et vient à sa guise : il souffle où il veut.

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J’ai songé souvent à mes parents. Ils croient que je suis leur enfant, que je suis comme eux. Mais malgré l’affection que je leur porte, je suis pour eux un étranger qu’ils ne peuvent comprendre. Et ce qui fait que je suis moi, ce qui, peut-être, constitue mon âme, c’est cela qui leur semble accessoire et qu’ils mettent sur le compte de la jeunesse ou d’un caprice passager. Ça ne les empêche pas de m’aimer et de me vouloir du bien. Un père lègue à son enfant son nez, ses yeux et même son intelligence : il ne lui transmet pas son âme. Tout être humain à une âme neuve.

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Finalement, chacun de nous a en lui quelque chose d’unique qu’il ne peut avoir en commun avec les autres.

Hermann Hesse (1877-1962) est un romancier allemand naturalisé suisse. Il a fait une œuvre majeure qui explore des voies humaines incontournables.

Knulp, personnage de ce roman, est un vagabond éclairé, un être libre qui, pour orienter son existence, a préféré le rêve aux conventions sociales. L’auteur fait l’apologie de la liberté et offre une méditation sur les blessures secrètes.

Hermann Hesse dans Knulp

Une pièce musicale de André Gagnon – Cantilène