La neige

Les sapins sont les arbres préférés des nuages.

Ils poussent spontanément vers eux leurs cimes. Les nuages viennent, ils tournent, ils s’approchent, ils s’accrochent. Soudain ils pèsent. Ce sont des compagnons sûrs et certainement de merveilleux amants. Les pics, les troncs, les fûts, l’écorce qui les cerne, se haussent davantage pour saisir leur étoffe mystérieuse et pour la retenir. Alors les nuages les enveloppent d’humidité de façon passionnée, en tout cas si fréquente, si récurrente.

Ils reviennent, ils s’alourdissent encore. Ils coulent. Ils sont fidèles.

Ils haïssent la lumière.

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Ils aiment la neige que le ciel crée mystérieusement.

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Plus la montagne s’élève, plus elle entre en contact avec le froid du ciel. Plus le gel en disloque la masse, plus elle épointe les roches que la glace fragmente encore. Les débris roulent sur les pentes ; les pluies les perforent ; les torrents balafrent les volumes les plus imposants avant de les amenuiser. La neige glissant des crêtes s’accumule dans les fonds et forme des glaciers qui eux-mêmes poussent et pressent les parois des cavités qui les contiennent. Peu à peu les glaciers les aménagent en cirques d’où s’écoulent des fleuves. Les fleuves enfin creusent lentement les énormes sillons des vallées en contrebas des flancs.

C’est ainsi que les montagnes sont exhaussées et que la nature se sculpte.

C’est ainsi que plus le volume est saillant, plus la hauteur aiguë, plus l’érosion puissante, plus le flanc déchiqueté, plus le ruissellement se fait torrentueux et blanc.

Le fragment dans ce monde est l’éclair.

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L’apparence de « sphère » que le ciel se donne, à l’instant où surgissent les étoiles, n’est elle-même qu’une fiction, qu’invente le regard qui se lève vers les spasmes de lumière qui tournent.

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Dans la neige actuelle qui tombe dans l’aube (une fois qu’on en voit la masse continue qui brille, qui scintille, qui émerveille en ouvrant la fenêtre au sortir du sommeil), la neige d’antan tombe avec elle.

La neige actuelle apporte avec son éblouissante blancheur son étrange et lointain silence de jadis.

On ouvre la fenêtre et on s’enfonce dans le Temps à jamais.

Pascal Quignard (1948) est écrivain et violoncelliste français.

Pascal Quignard dans Les larmes

Une pièce musicale de André Gagnon – Neiges