Vers la joie

Il y a le réel, visible, et la vie intérieure, invisible.

La vie intérieure, monde aqueux, sensoriel, sans frontières, que l’on traverse seul, fendant la nuit tel un oiseau migrateur, et depuis laquelle on ressent le temps.

Parfois, le réel demeure si opaque / insondable / inintelligible,

son choc est si frontal,

si stupéfiant d’irréalité,

que le sentiment de vie, le sentiment de vivre, n’appartient qu’à la vie intérieure.

*

Leur dire combien leur présence, à cet instant, me bouleverse. Je voudrais leur demander s’ils se rendent compte à quel point aller et venir comme ils le font, marcher tranquillement d’un endroit à un autre pour rentrer chez eux, faire leurs courses, flâner, est quelque chose non seulement d’absolument merveilleux, mais aussi d’inouï, quelque chose qui aurait pu ne jamais se produire mais qui, se produisant, modifie la texture du cosmos, lui imprimant son sceau invisible, dont personne ne se souviendra mais qui aura eu lieu là, en cet endroit de la terre, à cet instant précis. Que le souffle même du monde est fait de leur souffle, et du mien, qui peine tant à renaître. Je voudrais les enserrer, les remercier de me témoigner, par leur simple présence, ce que veut dire : être en vie. *

Je ne revivrai jamais plus comme avant, mais je sais que je suis – quelque part. Je pense que ce que je cherche, moi, ce que je cherche de toutes mes forces, c’est comment vivre de l’autre côté du champ de bataille.

*

Je n’en reviens pas : c’est donc ce tout petit chat effrayé de trois mois qui vient de forcer les portes du réel et de décréter qu’ici, à partir d’aujourd’hui, ce ne sera plus un champ de ruines mais, peut-être, le lieu d’un renouveau.

*

Laurence Tardieu (1972- ) est une écrivaine et comédienne française.

Laurence Tardieu dans Vers la joie

Une pièce musicale de Buddhist chants – The offerings of flower & incence