
Le temps passé est un temps mort et tous les temps d’hier deviennent des morceaux d’univers, des galaxies et des débris, en ce que nous sommes les restes du temps dispersés dans un immense cimetière. Autrement, rien ne pourrait expliquer la poussière. L’espace, c’est du temps passé, du temps séché, de la croûte illuminée. La durée est une illusion, la vie est un leurre, c’est la lumière d’une luciole, la résistance d’un papillon. Voilà le vertige originel, la grande peur de la conscience en face de ce qu’elle risque de découvrir quand elle se met en frais de réfléchir. La conscience du temps est une révélation terrible.
Nous ne sommes pas équipés pour l’infini.
S’il est dit que le temps arrange tout, c’est que le temps efface. C’est une gomme à effacer à huit tranchants, une gomme en forme de diamant qui vient à bout de toutes les images. Le temps nous nuisait, nous l’avons tué. Magiciens, nous avons fait en sorte que le temps s’efface de lui-même.
Oui, l’espérance de vie augmente, mais à trente ans, tu ne seras déjà plus dans le courant des choses. Il faut que l’arbre soit déjà gros une fois planté. Tout ce qui prend du temps est sorti du programme. La lenteur est un péché. Nous sommes faits comme des tortues et nous vivons comme des fusées.
La fusée est si lisse, la tortue si ridée. Il nous faut effacer toutes les traces du temps, il ne faut pas que les signes du temps apparaissent sur nos visages, notre peau, il est devenu malsain de s’éterniser. Plus rien n’a le temps de devenir.
Serge Bouchard (1947-2021) est un anthropologue, écrivain et animateur de radio québécois. De novembre 1975 à octobre 1976, Serge Bouchard a voyagé avec des camionneurs dans le Nord-Ouest québécois. Son but : étudier et observer leur travail pour en faire le sujet de sa thèse de doctorat. Serge Bouchard et Mark Fortier ont transformé la matière de cette recherche ethnographique unique en un portrait vivant et pénétrant du monde des routiers.
Serge Bouchard dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux
Une pièce musicale de Alex Nevsky – Aux aurores
