Il était une fois, en passant…

ImAGE passage

Comme toujours, j’avais l’impression que cet homme m’accompagnait dans mes états d’âme, quels qu’ils fussent. Partager cette joie avec Jorge était une raison de plus pour être heureux. Tout me réussissait et je continuais à faire des projets. Je n’aurais pas assez de deux vies pour réaliser tout ce que je voulais entreprendre. « Je te raconte une histoire ? » demanda-t-il. Je reconnais que cela me coûta un effort, mais je me tus.

IL ETAIT UNE FOIS un roi très puissant qui régnait sur un pays très lointain. C’était un bon roi, mais qui avait un problème : il avait deux personnalités.

Certains jours il se levait exultant, euphorique, heureux. Dès le matin, ces jours-là semblaient merveilleux. Les jardins de son palais lui paraissaient plus beaux. Ses serviteurs, par un étrange phénomène, se montraient aimables et efficients.

Pendant le déjeuner, il affirmait qu’on fabriquait dans son royaume les meilleures farines, qu’on y récoltait les meilleurs fruits.

Ces jours-là, le roi réduisait les impôts, distribuait des richesses, accordait des privilèges, légiférait en faveur de la paix et du bien-être des personnes âgées. Ces jours-là, le roi accédait à toutes les requêtes de ses sujets et amis.

Cependant, il y avait aussi des jours bien différents.

C’étaient des jours noirs. Dès son réveil, le roi se rendait compte qu’il aurait aimé dormir un peu plus. Mais lorsqu’il s’en apercevait, il était trop tard, le sommeil l’avait quitté.

Il avait beau faire, il n’arrivait pas à comprendre pourquoi ses serviteurs étaient de si mauvaise humeur et le servaient si mal. Le soleil l’incommodait plus encore que la pluie. La nourriture était tiède et le café trop froid. L’idée de recevoir des visites dans son bureau augmentait sa migraine.

Ces jours-là, le roi pensait aux engagements qu’il avait pris en d’autres temps et s’effrayait lorsqu’il pensait à la manière de les respecter. C’était au cours de ces périodes que le roi augmentait les impôts, confisquait des terres, mettait ses opposants en prison…

Craignant le présent et l’avenir, poursuivi par les erreurs du passé, il légiférait alors contre son peuple et le mot qu’il utilisait le plus était : « Non ». Conscient des problèmes que lui causaient ces sautes d’humeur, le roi convoqua tous les savants, mages et conseillers de son royaume. « Messieurs, leur dit-il. Vous connaissez tous mes sautes d’humeur. Vous avez tous profité de mes moments d’euphorie et souffert de mes colères. Mais celui qui en souffre le plus, c’est moi, car chaque jour je dois défaire ce que j’ai fait à un autre moment, quand je voyais les choses autrement. « Il faut, messieurs, que vous unissiez vos efforts pour me trouver un remède, quel qu’il soit, breuvage ou exorcisme, qui m’empêche d’être optimiste jusqu’à l’absurde, au point de perdre toute notion des risques, et pessimiste jusqu’au ridicule, au point de nuire à ceux que j’aime et de les opprimer. »

Les savants acceptèrent le défi et, pendant plusieurs semaines, ils réfléchirent au problème du roi. Cependant, aucune alchimie, aucun sortilège, aucune herbe n’apporta de solution au problème posé. Ce soir-là, le roi pleura.

Le lendemain matin, un étrange visiteur lui demanda audience. C’était un homme mystérieux à la peau sombre, vêtu d’une vieille tunique qui, un jour, avait dû être blanche. « Majesté, dit l’homme en se prosternant. Là d’où je viens on parle de tes maux et de ta douleur. Je suis venu t’apporter le remède. » Et, baissant la tête, il approcha du roi un coffret en cuir. Le roi, à la fois surpris et plein d’espoir, l’ouvrit et regarda à l’intérieur. Il y trouva un anneau d’argent. « Merci, dit le roi plein d’enthousiasme. C’est un anneau magique ? — Bien sûr ! répondit le voyageur, mais il ne suffit pas de le porter au doigt pour qu’agisse sa magie… Tous les matins, au moment de te lever, tu devras lire l’inscription qu’il porte et t’en souvenir chaque fois que tu verras l’anneau à ton doigt. » Le roi prit l’anneau et lut tout haut :

« Sache que cela aussi passera. »

Laisse-moi te raconter… : Les chemins de la vie de Jorge Bucay

 

Une ièce musicale d’Armand Amar- Life

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