Le fleuve était en crue et roulait ses eaux sur plusieurs milles de large en certains endroits; c’était un spectacle merveilleux. Au nord se trouvaient les collines verdoyantes, toutes neuves après la tempête. De grandes voiles blanches et triangulaires glissaient sur les eaux, et la lumière de l’aube resplendissait autour d’elles; elles semblaient être nées de ces eaux. L’agitation du jour n’avait pas encore commencé, et le chant d’un batelier venait de l’autre côté de l’eau. À cette heure-là le chant semblait remplir l’univers, et les autres bruits semblaient se taire et l’écouter. Même le sifflet d’un train passant près de là semblait se faire plus doux comme s’il craignait de déchirer l’air et le chant.
Petit à petit les bruits s’éveillèrent dans le village : les querelles autour de la fontaine, le bêlement des chèvres, les vaches qui réclamaient qu’on les traie, les lourdes charrettes sur la route, le cri perçant des corneilles, les pleurs et les rires des enfants. Ainsi un autre jour venait de naître.
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Nous n’écoutons ni ne découvrons ce qui est; nous jetons nos idées et nos opinions à la face de l’autre, en essayant de faire pénétrer l’autre dans le cadre de notre pensée. Nos pensées et nos jugements nous importent beaucoup plus que de découvrir ce qui est. Ce qui est est toujours simple; c’est nous qui sommes complexes. Nous rendons complexe ce qui est simple, ce qui est, et nous nous noyons dans cette complexité. Nous ne prêtons l’oreille qu’au bruit toujours croissant de notre confusion. Pour écouter, nous devons être libres. Non que nous ne devions pas avoir de distractions, car penser est une forme de distraction. Nous devons être libres pour être silencieux, et c’est alors seulement que nous pouvons entendre.
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Pourquoi vous identifiez-vous à un autre, à un groupe, à un pays? Pourquoi vous donnez-vous le nom de chrétien, d’hindou, de bouddhiste, pourquoi appartenez-vous à quelqu’une de ces nombreuses sectes qui existent? S’il s’agit de religion ou de politique, on s’identifie à tel ou tel groupe en raison de la tradition, de l’habitude, suivant l’impulsion, le préjugé, ou encore par esprit d’imitation et par paresse. Cette identification met fin à toute compréhension créatrice et l’on devient ainsi un simple outil entre les mains du parti dirigeant, du prêtre ou du leader favori.
Jiddu Krishnamurti dans Commentaires sur la vie : Qui êtes-vous ?
Une pièce musicale de Ensemble canta filia- Hildegard von Bingen: O viridissima virga